Israël : La pacification, c’est la guerre permanente

« Il y a un pays qui combat le terrorisme depuis 50 ans et qui n’a pas créé l’état d’urgence, pas créé de lois d’exception, qui n’a jamais dérapé, c’est Israël », déclarait Julien Dray sur le site lemondejuif.info, le 13 décembre dernier. Les attentats de Paris furent pour certains le moment d’en appeler à s’inspirer du modèle sécuritaire israélien. Mais n’est-ce pas déjà le cas ? Israël est devenu la source de référence en doctrines et de technologies militaires, car soumises à l’épreuve du feu.

Dans un ouvrage inédit en français, War against the people – Israel, the Palestinians and Global Pacification 1 , (Pluto Press, Londres, 2015), Jeff Hapler, anthropologue et militant antiguerre, dissèque l’expertise militaro-sécuritaire israélienne – « securocratic », ose-t-il – décrite comme une « matrice de contrôle » (« matrix of control ») qui tend à devenir un modèle mondial de management du maintien de l’ordre.

Le budget de défense – évalué à environ 16,5 milliards de dollars pour 20152 – d’Israël, pays de 8 millions d’habitants, le place au 13e rang de la liste des pays pour leurs dépenses militaires. C’est un des taux d’investissement (15,1 % du PIB en 2013, 5,8 % à 7,8 % en 2014, selon les rapports) les plus importants au monde après l’Arabie Saoudite (10,7 %) et l’Irak (8,5 %), mais devant l’Iran, la Corée du Nord, le Pakistan ou l’Égypte. Aux États-Unis, premier budget militaire au monde avec 581 milliards de dollars en 2014, les dépenses militaires ne représentent « que 3 % » du PIB. Israël importe : en 2014, il a reçu pour 2,3 milliards de dollars d’armements de la part des États-Unis, la moitié de l’aide militaire à l’exportation américaine. Mais l’État hébreu, toujours inquiet des risques d’embargo, s’approvisionne aussi auprès de la France, de l’Allemagne, du Royaume-Uni et… de la Russie ou de l’Ukraine. Israël exporte aussi son armement et son savoir-faire. Il est à la pointe de l’innovation en matière de robots militarisés : « Nous pouvons être une superpuissance mondiale dans la robotique », clame le professeur Zvi Shiller, membre de l’université de Samaria, située dans la colonie d’Ariel en Cisjordanie.

Selon Hapler, « équipées pour la première fois de l’histoire de technologies sécuritaires totales, les classes dominantes, leurs armées et leurs polices entrevoient alors la perspective de villes gérées rationnellement par une technoscience omnipotente. » Israël est devenu le laboratoire de ces techniques. Ainsi s’opère ce que Hapler appelle une « palestinisation » du contrôle mondial, comme « lors de la guerre d’Irak ou dans les opérations contre-insurrectionnelles en Afghanistan, ou bien dans la sécurisation des frontières, aéroports, la vidéo-surveillance des rues, ou encore dans le démantèlement des manifestations type Occupy Wall Street. En élaborant des solutions militarisées depuis son microcosme palestinien, Israël ouvre la voie pour tous les “gardiens de la civilisation” en butte à leurs propres Palestine et Palestiniens à travers le monde. »

Par Mathieu Léonard.

Eau sale d’Israël

Une odeur pestilentielle qui ne vous lâche plus pendant plus d’une semaine. Un mélange âpre et piquant de nourriture avariée et de vieilles chaussettes fermentées, tout droit sorti d’une bouche d’égout, qui s’imprègne sur votre peau et vos vêtements comme sur les murs. Le Skunk, appelé aussi «  dirty water   » est une eau nauséabonde propulsée sur les manifestants palestiniens par les camions à eau de la police israélienne. Produit par la firme israélienne Odortec, qui vante un produit non toxique et non polluant, «  qui disperse rapidement le plus déterminé des émeutiers  », sa composition consiste en un mélange d’eau, de levures chimiques et de bicarbonate de soude. «  Le Skunk est la réponse optimale pour la police moderne  », proclame encore Odortec. Depuis son expérimentation jusqu’à l’intérieur des maisons de villages de Cisjordanie et sur un cortège de funérailles à Hébron en 2012, le procédé semble intéresser de nombreux pays sud-américains et les États-Unis…

Le non létal qui tue

Il avait huit mois. Ramadan Thawabteh est mort le 29 octobre 2015 dans le village de Beit Fajjar, près de Bethléem, asphyxié par du gaz lacrymogène tiré en nuage dense par l’armée israélienne et qui a submergé la maison de ses parents. Dans ce Bethléem qu’on célèbre tous les ans dans l’euphorie du papier crèche et des guirlandes clignotantes, ce bébé palestinien n’aura pas eu le temps d’apprendre que ce gaz à grenades, à effet passager simplement irritant pour les yeux, est réputé non létal. En ce mois d’octobre, les grenades lacrymogènes israéliennes n’ont pas tué ce seul enfant. Huda Muhammad Darwish, 65 ans, Hashem al-Azzeh, 54 ans, sont morts après leur transfert dans des hôpitaux de Jérusalem-Est et d’Hébron par la seule inhalation de cette chimie à tirer les larmes aux yeux. La première victime connue des lacrymos surdosées, Jawaher Abu Rahmah, 36 ans, est décédé à Ramallah le 1er janvier 2011. Mais officiellement, dans le monde entier, le gaz lacrymogène est toujours présenté comme une manière d’épargner aux manifestants les balles dites «  réelles  ». D’ailleurs, l’essentiel de la recherche sur les conséquences physiques de ces gaz est mené par les fabricants eux-mêmes, comme le rappelle l’ONG Whoprofits dans leur rapport de 2014. Pas de quoi s’inquiéter, donc, les moutons sont bien gardés.

Mur des lamentations commerciales

Les quatre plus gros fabricants d’armes d’Israël, dont trois détenus par l’État, pleurent misère. En octobre, ils ont écrit au Premier ministre Benyamin Netanyahu pour déplorer la chute des exportations : 7,5 milliards de dollars en 2012, à peine 4 petits milliards de rien du tout en 2015. Même garanti «  testé au combat  » sur les Palestiniens, le matériel d’Elbit, Israël aerospace industries, Rafael, et Israel Military Industries se vend moins bien, plombé par un «  moindre désir pour les produits made in Israël  ». Le désir, ce grand mystère de la guerre.


1 « La guerre contre le peuple – Israël, les Palestiniens et la pacification globale. »

2 Selon l’International Institute for strategic studies.

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