Convoi nucléaire franco-allemand
Ici, bientôt, un barrage anti-Castor
L’industrie nucléaire agonise mais, chut, la France l’ignore. Depuis l’accident de Fukushima, le 11 mars dernier, l’atome civil a le becquerel en berne : l’Allemagne a annoncé l’arrêt de toutes ses centrales d’ici 2022, et l’Italie a une nouvelle fois dit non, par référendum, à cette énergie mortifère. En Finlande, le réacteur EPR, fleuron du renouveau atomique français, affiche cinq ans de retard, alors que celui de Flamanville (Manche), qui devait initialement crachoter de l’électricité en 2012, ne produira son premier kilowattheure qu’en 2016… Entre-temps, le coût de construction a presque doublé, et les défauts de fabrication s’accumulent comme fûts radioactifs en sous-sol. Ajoutez à cela des prix de l’uranium fraîchement renégociés à la hausse par le Niger, une action qui perd près de 40 % depuis le début de l’année, et les finances du groupe nucléaire français Areva fuient de toutes parts ! Au point que les 3 000 à 4 000 licenciements annoncés récemment dans la presse – et démentis par la suite – n’ont étonné personne. Ainsi, l’essayiste états-unien Jeremy Rifkin démontre comment l’énergie nucléaire, du fait de la raréfaction des ressources et du vieillissement des centrales, n’a pas plus d’avenir qu’un liquidateur de Tchernobyl1. Sauf que, en France, l’idéologie nucléaire est droite dans ses bottes de plomb. Les organisateurs du camp antinucléaire de Valognes (Manche), du 22 au 24 novembre, l’ont compris : le lobby nucléaire, du Commissariat à l’énergie atomique au chef des armées, s’accrochera coûte que coûte à l’atome2.
Mais pourquoi installer un camp à Valognes ? Depuis les années 1980, l’Allemagne refourgue ses déchets à l’usine de « traitement » Areva de La Hague (Manche). À l’époque, la France se voyait bien en poubelle atomique du monde. Mais depuis la loi Bataille de 1991, ces ordures très particulières ont obligation de retourner dans leur pays d’origine. Tous les ans, vers le mois de novembre, un train Castor emporte donc plusieurs tonnes de déchets vitrifiés hautement radioactifs vers le site de Gorleben, en Allemagne. « L’an dernier, avec onze conteneurs et cent vingt-trois tonnes de déchets, explique Jean-Yvon du Réseau Sortir du nucléaire, tu avais l’équivalent d’un Tchernobyl tous les deux wagons. » Le train a bringuebalé son chargement de ville en ville, en passant par Caen, Rouen, Amiens, Strasbourg… Cette année, ce devrait être le dernier convoi de ce type, mais la quantité serait sensiblement la même. Le départ aura lieu le 24 novembre, en gare de Valognes. D’où le camp…
S’ils arrivent à destination, « les déchets sont entreposés en surface dans un Kartoffelscheune, littéralement une “grange à patates”. Comme il y aurait eu des risques d’attentat l’an dernier, l’État a pris des mesures de sécurité comme… l’interdiction de prendre des photos ! » nous rassure Jean-Yvon. À terme, leur « solution définitive » serait d’oublier ces résidus dangereux dans une couche géologique de sel pendant quelques milliers de siècles. Mais, à Gorleben, la population a les chocottes de voir son sous-sol squatté par de l’uranium et du plutonium. Surtout que la mine d’Asse – elle aussi en Allemagne, et elle aussi dans le sel – suinte la mort quarante ans à peine après sa mise en service. Les bidons sont rouillés, troués, intransportables, et la fuite se répand tranquillement jusque dans les nappes phréatiques. Alors, depuis trente ans, les habitants bloquent régulièrement l’accès au chantier. Et tous les ans, plus de 50 000 écolos, pacifistes, antifascistes et/ou champions d’escalade convergent de toute l’Allemagne pour bloquer le plus longtemps possible le rongeur irradié. Chaque village organise son barbecue, des tracteurs barrent la route aux casqués, et des familles entières s’installent sur les voies.
Les organisateurs du camp de Valognes comptent bien s’inspirer de leurs camarades d’outre-Rhin. Bénédicte annonce la couleur : « Pendant deux jours sont prévues des discussions, des projections de films et des manifs. Les déchets, partis de La Hague par la route, seront entreposés au terminal ferroviaire de Valognes avant de partir pour l’Allemagne. Toutes les initiatives sont bonnes à prendre. Notre démarche est de s’en prendre au point faible de l’industrie nucléaire : ce type de transport. » L’appel est lancé depuis quelques semaines, et les barnums, cantines ambul-antes et chapiteaux affluent déjà de toute la France. Des soirées de présentation s’organisent un peu partout dans le pays. « On veut passer au-dessus des querelles historiques du mouvement antinucléaire, et que les formes d’action se complètent, poursuit Bénédicte. Mais toujours avec cette revendication : l’arrêt immédiat des centrales. »
1 Le discours de Jeremy Rifkin et autres informations sur le camp ici : http://valognesstopcastor.noblogs.org.
2 « Areva coûte que coûte », CQFD n°91, juillet-août 2011.
Cet article a été publié dans
CQFD n°94 (novembre 2011)
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Paru dans CQFD n°94 (novembre 2011)
Par
Illustré par JMB
Mis en ligne le 03.01.2012
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