Nucléocratie

Areva coûte que coûte

Chute des cours, contrats annulés, pertes financières, le tout dans un contexte de catastrophe nucléaire et de défiance généra-lisée... Areva, roi de l’atome français, se fissure mais l’État garde le cap : hors de question de remettre en cause la politique énergétique du pays. On garde le nucléaire, quel qu’en soit le prix !

Pas une tête qui dépasse ! Ministres, industriels, hommes de cour et autres laquais, les nucléocrates tricolores sont au garde-à-vous : la filière nucléaire est un atout industriel majeur pour la France, et doit le demeurer. Pourtant, le navire amiral du nucléaire international commence à sérieusement prendre l’eau de toutes parts. Entre juillet 2010 et fin juin 2011, l’action d’Areva, le fleuron hexagonal de l’énergie nucléaire, a chuté de 13,50 %. Dans la courbe boursière qui fait quotidiennement vibrer traders et actionnaires, Fukushima n’aura été qu’un creux parmi d’autres. Fin septembre, l’action s’était déjà effondrée de la même manière. Les experts boursiers annoncent d’ores et déjà que le résultat de l’exercice de 2011 – selon les critères du « Earnings before interest and taxes » qui définit le chiffre d’affaires déduit des charges d’exploitation – va marquer une perte de… 265 % ! Fukushima et ses conséquences sur des centaines de milliers de personnes ? Toujours pas. La réponse est ailleurs, au cœur des contradictions du capitalisme dont la production d’énergie est un condensé : centralisme et monopole subissant la pression à la fois vitale et létale du marché.

par Placid

En décembre 2009, Areva a vu s’envoler les 40 milliards de dollars promis par la signature d’un contrat avec les Émirats Arabes Unis. De plus, les déficiences techniques dans la construction d’un réacteur EPR1 en Finlande, associées aux augmentations des coûts de construction et aux indemnités de retard, n’ont cessé de grossir l’ardoise jusqu’à atteindre une perte de 2,7 milliards d’euros. Quant à l’usine Areva de stockage et de traitement de déchets radioactifs située à proximité de la centrale de Tchernobyl, c’est un fiasco. Construite, elle ne peut être utilisée pour raisons techniques. « Chaque retard d’un mois entraîne un surcoût de 4 millions d’euros », expliquait, fin octobre 2009, Vince Novak, responsable des questions nucléaires à la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD).

En mai 2011, Areva a suspendu, selon ses dires, la construction d’une usine de composants pour centrale nucléaire à Newport, dans l’Idaho (États-Unis), et 363 millions de dollars lui ont ainsi filé entre les doigts. Déjà, en juin 2010, les agences de notation Standard and Poor’s et Moody’s avaient dégradé la note de l’entreprise – comme s’il s’agissait d’une vulgaire Grèce endettée –, plongeant dans l’expectative investisseurs et clients potentiels.

Les indicateurs financiers analysant le nucléaire et les questions environnementales ne parviennent plus à masquer le coût de production d’un misérable kilowattheure au regard de ceux de la recherche, de la construction des centrales et de leur entretien, des démantèlements, du traitement et du confinement des déchets pour des durées inconcevables, des risques sanitaires, etc. En mars 2010, dans un rapport publié par la fondation Heinrich Böll2, Ralf Fücks, son président, précisait : « En fait, le nombre des centrales nucléaires dans le monde diminue constamment. Actuellement, 436 réacteurs sont encore en exploitation. Au cours des quinze à vingt prochaines années, on assistera à un plus grand nombre de déconnexions de centrales vieillissantes que de nouvelles mises en service. […] Plus les marchés de l’électricité sont ouverts à la libre concurrence, plus les chances de l’énergie nucléaire s’amenuisent. En outre, les coûts des nouvelles installations explosent. […] À cela s’ajoutent les problèmes non résolus de l’élimination des déchets et la forte probabilité d’une défaillance technologique. Aujourd’hui aucun conglomérat énergétique privé ne prendrait le risque de construire une nouvelle centrale sans subventions publiques ni garanties.3 » Peu avant l’accident nucléaire de Fukushima, John Rowe, président de l’une des principales compagnies d’électricité américaines, confirmait que « construire de nouveaux réacteurs nucléaires n’avait économiquement aucun sens ». « Depuis cinq ans, on ne trouve plus de projet nucléaire outre-atlantique », renchérit le consultant indépendant en énergie Mycle Schneider (Le Nouvel Obs du 25 mai 2011).

Et pourtant, la nucléocratie française reste droite dans ses bottes. Depuis son bunker idéologique, Areva ne cesse de se vautrer dans le pathétique spectacle de l’autosatisfaction, avec d’autant plus de véhémence que s’approche le naufrage, affirmant que « le groupe a démontré au cours des dernières années sa capacité à croître fortement et de manière rentable… »

Pendant ce temps, le gouvernement allemand a décidé de renoncer progressivement à l’énergie nucléaire et les Italiens se sont prononcés par référendum contre la relance de l’atome dans leur pays. Mais ne s’agit-il pas d’un vernis démocratique destiné à masquer un déclin irréversible dû à la nature même des enjeux économiques ? Jusqu’alors les États n’avaient jamais eu autant de sollicitudes à l’égard de leurs populations…


1 Evolutionary power reactor, réacteur nucléaire de troisième génération.

2 Fondation d’outre-Rhin politiquement indépendante mais proche des Verts allemands et européens.

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1 commentaire
  • 26 septembre 2011, 14:35

    Salut les copains,

    Bin, je vois beaucoup de préjugés dans cet article.

    Pourquoi la collectivité se priverait-elle d’un moyen efficace de produire de l’énergie ? En plus un moyen public (c’est peut-être ce qui gêne le plus les oligarques... mais pourquoi CQFD ?) ? Pour pouvoir payer plus de dividendes aux actionnaires de Total ? ou de Siemens (qui fabrique des éoliennes) ?

    L’accident très dur (mais combien de morts ? combien de blessés ? à comparer avec un week-end moyen sur les routes en France...) de Fukushima ne remet en aucune façon le nucléaire.

    Là où CQFD devrait enquêter c’est par exemple sur l’appropriation de la maintenance du nucléaire par des groupes privés avec en corollaire de difficiles conditions des travailleurs. Ou bien sur les rentes que se sont constitué des personnes privées sur le dos de la nation en installant éoliennes et panneaux photo-voltaïques (3 à 10 fois plus cher que l’électricité nucléaire...).

    Peut-être que EDF et Areva ne sont pas parfaitement efficaces, mais Total, Siemens, Suez (qui exploite des centrales en Belgique) ?

    Quant aux arguments relatifs aux cours de bourse... pas CQFD tout de même !

    Il ne faut pas se tromper de camp. De toute façon, le nucléaire est indispensable : on ne pourra pas s’en passer et pas plus nous que nos voisins...

    Dans le combat, il ne faut pas se laisser engluer par ces préjugés hérités de la guerre froide.

    Cordialement,

    AA

    • 26 septembre 2011, 16:28, par Juan Pedro

      Public ou privé le principe même de la destruction atomique est un crime. Nous avons 50 ans de recul sur le nucléaire civil et militaire : ses atteintes à la vie (950 000 morts depuis la catastrophe de Tchernobyl), les territoires impropres à la vie pour des milliers d’années y compris ceux n’ayant pas de centrales atomiques dans leur périmètre, des atteintes à la santé avec des leucémies en augmentation, des cancers, des maladies cardiaque et neuronales, des modifications de l’ADN. De la souffrance humaine, des meurtrissures, des plaies, des familles endeuillées, des enfants sacrifiés. Depuis Tchernobyl qui continu son oeuvre de mort : Fukushima qui démarre le sacrifice des humains. Par ce quelques scientistes-dogmatiques, au-dessus de tout, se sont arrogés le pouvoir de décider à notre place, se sont octroyer le pouvoir de vie et de mort sur la société des humains. Nous ne pouvons plus raisonner comme dans les années 60 et 70. L’industrie nucléaire a généré à ce jour 1millions 500 000 mètres cubes de déchets radioactifs dont elle ne sait quoi faire si ce n’est de tenter de les enterrer pour les refiler à nos enfants, à nos petits-enfants, à nos arrières petits-enfants, à nos arrières-arrières petits-enfants,... L’avenir du nucléaire et des travailleurs du secteur passe par l’arrêt immédiat du nucléaire. C’est la garantie du maintien de l’emploi pour au moins 100 ans (arrêtées, les installations imposent de maintenir une grande partie du personnel en place le temps que la réaction atomique et les installations perdent de leur radioactivité) ; c’est la nécessité de créer et mettre en place de nouvelles formations professionnelles performantes en démantèlement ; c’est l’opportunité pour la France et les travailleurs du secteurs d’acquérir une expertise internationale dans le démantèlement et ainsi exporter ce nouveau savoir faire dans le monde entier. La France après avoir favoriser la dissémination nucléaire jouerait une rôle actif et concret pour la vie, la suppression de la menace nucléaire, la paix. C’est, dans le prolongement, la création d’emplois dans le secteur des énergies renouvelables. La seule attitude cohérente, rationnelle, humaniste, est l’arrêt immédiat des réacteurs et des installations nucléaires : à danger immédiat, arrêt immédiat. Ce n’est ni une question technique, ni une question politique c’est une nécessité sanitaire et de santé publique. Pas dans 10ans, pas dans 20 ans, mais immédiatement. j’aime m’informer aussi sur www.coordination-antinucleaire-sude...

    • 26 septembre 2011, 18:58, par Guillaume J.

      @AA Je voie tout autant de préjugés dans ta réponse ! Le nucléaire est juste une manière dangereuse de brancher une cocotte-minute sur le réseau électrique. 30% de rendement énergétique seulement, le reste partant sous forme de chaleur : inefficace au possible. Si tu ajoutes les coûts de démantelement et de gestion des déchets, l’equation économique de l’efficacité est bien différente ! Sur le côté indispensable : il reste a priori de 60 à 80 ans d’uranium à consommation constante. Bon avec toutes ces centrales qui pètent, mécaniquement, on peut passer à 120 ans .... SUPER ! En attendant c est les ingénieurs des mines qui ont le pouvoir, et pas les tenants d ’une demarche de sobriete, génératrice de plus d emplois : les mines ont fermées, on ferme quand l ecole ??? Y a ptet quelques polytechniciens rescapés du trading la dessous aussi faut dire... Apres tout a fait d accord sur les conditions de boulot : il faut garder public le demantelement. Et aussi d accord sur les rentes du PV : c est degeulasse ! Faut des prix de rachat garantis pour des coopératives de production associant les collectivités locales c est clair, pas pour les particuliers... a++

    • 27 septembre 2011, 11:01

      Salut les copains,

      Merci pour cette réponse qui résume bien les craintes de beaucoup.

      1° Nous avons effectivement pas mal de recul en France particulièrement. Depuis les années 80 donc, 30 ans, la majeure partie de l’électricité est produite en France dans les centrales atomiques. Combien de morts par irradiation -> 0 ! Combien de morts par le tabac durant ces années-là -> 30 fois 70 000 ! Combien de suicides -> 30 fois 10 000 !!! Combien de morts par accident domestique -> 30 fois 20 000 ! etc. Il faut introduire de la rationalité dans nos réflexions ou cela conduit à une sorte de religion...

      2° --- Oui, mais 950 000 morts à Tchernobyl, alors ? Ces chiffres paraissent extrêmement exagérés ! D’où viennent-ils ? Il y a eu exactement 156 morts parmi les « liquidateurs ». C’est déjà énorme. Il y a sans doute eu des morts des suites d’irradiation ensuite mais du même ordre de grandeur. Mais c’est vrai, il y a eu des territoires contaminés assez limités (combien de km2 ?). La principale contribution morbide de la catastrophe de Tchernobyl, c’est sans doute le stress bien réel des dizaines de milliers de familles déplacées. Il y a eu sans doute beaucoup de difficultés graves de ce côté-là... personne n’en parle. Quant aux incidences sur les cancers -> les experts ne sont pas du tout OK. En revanche, les cancers par alcool et tabac, là c’est du certain !

      3° L’accident de Fukushima est beaucoup plus limité -> 20 km2 durement contaminés. Combien de victimes -> 2, 3 ?

      4° Si l’on ne produit pas l’électricité par le nucléaire, restent comme solutions sérieuses l’hydraulique (mais tous les sites exploitables sont exploités) et... le pétrole, le gaz et le charbon. Il faut choisir...

      Bref, à part des arguments quasi religieux, rien de bien sérieux ne remêt en cause le nucléaire. Oui, il faut surveiller les exploitants et ne pas leur faire entière confiance. Oui, il faut priver le privé de cette manne. Oui, l’EPR n’apporte aucune innovation de taille par rapport aux N4 par exemple. Oui, il faut développer les vrais réacteurs de l’avenir -> les surgénérateurs ! Il ne faut pas avoir peur de notre ombre et faire confiance à l’avenir...

      AA

    • 7 novembre 2011, 11:31, par Lux

      Hello les amis,

      Je suis étudiant et pas spécialiste du nucléaire. Je vais être honnête, plus je lis les arguments des pros-nucléaire et plus je commence à me dire que c’est insensé. Dans un premier temps, j’ai beaucoup de mal à saisir la mise ne comparaison du nucléaire avec les ravages de l’alcool et du tabac. Vraiment. J’ai du mal à y voir un rapport rationnel. Ce ne sont pas les mêmes types d’acteur, pas les même types de ravages, pas les même temporalités, pas les les même enjeux.

      Dans un deuxième temps, ce que je retiens, c’est un acharnement indéfendable et irrationnel à continuer dans la voie du nucléaire en faisant fi :

       du risque d’un retard conséquent quant au développement d’une expertise élargie à d’autres moyens de productions énergétiques.
       de la réalité d’une fausse maîtrise du nucléaire. Vous savez monter des centrales, vous savez les faire tourner. Mais vous ne savez pas les gérer en cas d’accidents et vous ne savez pas non plus les démonter. La seule réponse que vous brandissez, est "Il n’y pas ou peu d’accidents possible". Or c’est la raison même qui veut qu’on considère que le risque doit toujours être envisagé comme réel.
       de votre incapacité à gérer durablement les déchets.
       d’une dépendance à l’uranium extérieur. Je le précise, le nucléaire a longtemps été développé comme une réponse à la question de l’indépendance énergétique.
       des coûts à peine estimés de démantèlement sans lesquels les bilans financiers sont faussés et mensongers.

      J’ai d’abord l’impression que les défenseurs du nucléaires sont d’abord des tenants du status quo et du court-termisme. Et pour la France c’est un problème, parce qu’elle n’avance pas sur la maîtrise et le développement d’autres systèmes de productions énergétique. Je vous lis disant, on ne peut pas se passer du nucléaire. Mais pourquoi ? Pourquoi on ne pourrait pas ?

      Je me suis fait un avis au cours du débat public (qui s’est ouvert, reconnaissons le). Et la défense du nucléaire repose visiblement sur deux choses : des arguments d’autorités, et des arguments biaisés. Aucun n’est valable.

      En vrac :

       "Pourquoi la collectivité se priverait-elle d’un moyen efficace de produire de l’énergie ? En plus un moyen public (c’est peut-être ce qui gêne le plus les oligarques... mais pourquoi CQFD ?) ? Pour pouvoir payer plus de dividendes aux actionnaires de Total ? ou de Siemens (qui fabrique des éoliennes) ?" En quoi des moyens de production d’énergie durables ne pourraient être publics ? Les éoliennes sont aujourd’hui un moyen peu efficace de produire de l’énergie et c’est à ce titre que personne ne prétend qu’elle deviendront telles le moyen principale de produire de l’énergie.

       Enfin, je me répète mais je cherche encore la rationalité dans un argument du type : "Il ne faut pas se tromper de camp. De toute façon, le nucléaire est indispensable : on ne pourra pas s’en passer et pas plus nous que nos voisins... Dans le combat, il ne faut pas se laisser engluer par ces préjugés hérités de la guerre froide." Je suis un peu jeune, mais je crois savoir que pendant la guerre froide, il était question surtout de la peur de la guerre nucléaire, ce qui est autre chose.

      à vous :).

      Lux

Paru dans CQFD n°91 (juillet-août 2011)
Par Gilles Lucas
Illustré par Placid

Mis en ligne le 26.09.2011