Aïe Tech #22

IA : et ça continue, en Corée encore

Mois après mois, Aïe Tech défonce la technologie et ses vains mirages. Vingt-deuxième épisode consacré au double numérique utilisé par le président de la Corée du Sud, à l’époque où il voulait rajeunir sa fan-base.

Connaissez-vous Yoon Suk-Yeol, le président de la Corée du Sud ? Pas sûr, tant l’actualité politique de ce pays est rarement évoquée dans nos contrées. Mais une rapide recherche en ligne permet de tracer le portrait d’une vieille baderne conservatrice, élue en mars 2022 suite à une campagne pleine de morgue. Ultra-libéral, anti-féministe, le champion du parti Pouvoir au peuple gouverne désormais, multipliant les provocations et réprimant l’opposition syndicale. L’un de ses mantras ? « Les gens qui font grève sont aussi dangereux que les ogives nucléaires nord-coréennes.  » Classic shit, venu de ce fan revendiqué de Milton fucking Friedman (aka l’idole économique des autocrates à la Pinochet). Mais il y a un domaine dans lequel Yoon Suk-Yeol a innové, et pas qu’un peu : l’utilisation d’un double numérique (deepfake) pendant sa campagne.

Dans son dernier et fascinant ouvrage, Le Double (Actes Sud, 2024), la journaliste Naomi Klein s’attarde notamment sur ce fumeux procédé, expliquant comment celui qui était alors candidat de l’opposition a « inondé internet d’une fausse version de lui-même, nommée AI Yoon ». L’objectif : se rallier l’électorat jeune, via un clone, doté selon l’autrice de La Stratégie du choc (Actes Sud, 2007) de « plus de charme et d’humour que l’original ». Un pas en avant vers la normalisation de cette pratique, d’autant plus flippant que le deepfake était jusqu’ici plutôt cantonné à son utilisation en négatif – pour décrédibiliser une personnalité. Ici c’est tout l’inverse, le double numérique devenant un outil parmi d’autres du grand barnum électoral, soit une marionnette virtuelle capable de répondre à toutes les questions en les pimentant de saillies calculées pour leur potentielle viralité. Le pire ? C’est efficace, si l’on en croit un article du Wall Street Journal1 donnant la parole en mars 2022 à un jeune Coréen se disant séduit parce que AI Yoon parle comme quelqu’un de son âge.

À l’heure où l’on peut aller voir en concert les membres d’ABBA en hologrammes plus vrais que nature, où Mark Zuckerberg voudrait recruter nos avatars dans son glauque métavers et où une boîte comme HereAfter AI propose de créer des clones vocaux de personnes décédées pour des discussions post-mortem, la course au double s’apprête à toujours plus envahir nos quotidiens. Et elle ne devrait pas se voir freiner de sitôt, concernant la Corée du Sud tout du moins. En avril dernier, Yoon Suk-Yeol a annoncé que le pays allait investir 7 milliards de dollars dans l’intelligence artificielle d’ici 2027. Vivement que son double amélioré finisse par le buter.

Émilien Bernard
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Cet article a été publié dans

CQFD n°236 (décembre 2024)

Dans ce numéro, vous trouverez un dossier spécial États-Unis, faits de reportages à la frontière mexicaine sur fond d’éléction de Trump : « Droit dans le mur ». Mais aussi : un suivi du procès de l’affaire des effondrements de la rue d’Aubagne, un reportage sur la grève des ouvriers d’une entreprise de logistique, une enquête sur le monde trouble de la pêche au thon.

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