Parfois, quand le désespoir me gagne, quand un commentaire essuyé dans la rue m’a particulièrement agressée ou quand j’ai mes règles, je me demande si après tout, ça ne serait pas plus simple d’être un homme. Je rêve à tous les avantages évidents qui me reviendraient – en réunion ma voix grave imposerait le silence, je porterais des packs de bouteilles d’eau à la force du petit doigt, il ne viendrait à l’idée de personne de me demander quand j’aurai enfin des enfants, je ferais pipi debout dans la rue en toute décontraction – et très vite, j’en arrive à un inconvénient notoire.
Orgasme, j’écris ton nom !
Pour la liberté de jouir dès les premières minutes d’un rapport sexuel sans que ça n’entraîne le moindre incident diplomatique, pour la possibilité de jouir plusieurs fois au cours du même rapport et par le biais d’au moins trois endroits différents, pour le droit communément reconnu de laisser alors son corps basculer dans les cris et les convulsions, je me dis souvent que c’est quand même drôlement chouette d’être une femme. Que c’est peut-être notre seul vrai privilège. Et que la jouissance féminine aurait largement de quoi rendre les hommes jaloux, violents, moralisateurs, tyranniques… Oh ! Wait… De fait, s’il ne suffit évidemment pas à expliquer la domination masculine, l’orgasme féminin représente bien une distinction pour le moins chatouilleuse : en plus de détenir la clef de l’enfantement, les femmes peuvent jouir plus et mieux que les hommes, entre autres grâce à un organe dédié [1]. Et sans même parler d’excision, d’interdiction de la masturbation, de dépréciation freudienne de l’orgasme « clitoridien » ou de saleté supposément inhérente au corps des femmes [2], les moyens mis en œuvre pour empêcher, juguler ou altérer notre jouissance sont aussi nombreux qu’efficaces.
Certes, il y a du progrès. Et à voir telles dames de la publicité grimper aux rideaux à cause d’un cornet de glace ou d’un radiateur infrarouge, tels magazines dits « féminins » marteler à longueur de couvertures que jouir est primordial, telle association féministe instaurer une « journée de l’orgasme », on pourrait croire que sous ces cieux-là au moins, l’orgasme des femmes bénéficie désormais d’une certaine tolérance. Surgissent alors deux nouveaux obstacles, autrement pernicieux : la jouissance obligatoire, et dans une seule acception. « L’orgasme, comment le reconnaître ? », titre régulièrement ladite presse « féminine ». « L’orgasme, c’est se tenir la bouche entrouverte, la tête renversée et les yeux mi-clos », martèlent publicité et pornographie. « En général quand on a un orgasme, on le sait », répond ici et là une docte connasse autoproclamée féministe à celles qui se demandent si elles en ont. Une fois acquis le droit de jouir, il faudra donc encore arracher non seulement le droit de ne pas le faire, mais aussi le droit de décider ce que jouir veut dire. Et quand on y arrivera, une chose est sûre : plus personne n’aura envie d’être un homme…
Illustration de Caroline Sury.