Les éditions La Fabrique viennent de rééditer les Souvenirs d’un révolutionnaire de Gustave Lefrançais (1826-1901), initialement publiés sous forme de feuilleton dans Le Cri du peuple en 1886-1887, repris dans Les Temps nouveaux en 1902, puis par les éditions de La Tête de feuille en 1972. Il s’agit d’un dense et fort témoignage sur la période qui court de 1848 à 1871.
Gustave Lefrançais, jeune instituteur, se trouve immergé de plain-pied dans le mouvement populaire qui saisit Paris au printemps 1848. La répression sanglante menée par les républicains en juin 48 est l’acte fondateur de l’engagement de sa vie. Sur les barricades, Lefrançais comprend qu’il existe désormais deux républiques irréconciliables, la bourgeoise et la sociale. « Qu’aurait pu faire de plus la plus exécrable des monarchies ? », se demande-t-il. L’ordre règne à Paris. Arrêté sous prévention de société secrète, il est assigné à résidence à Dijon. Quand Louis-Napoléon Bonaparte organise le coup d’État en 1851, Lefrançais ne s’étonne guère, mais opte pour l’exil à Londres. Sur place, il est sommé de choisir sa faction : celle de Ledru-Rollin ou celle de Félix Pyat. Ne choisissant ni l’une ni l’autre, il crève de faim. Tout au long du récit, il écorne l’auteur des Châtiments et des Misérables qu’il considère comme un opportuniste : « La plupart des proscrits ayant quelque fortune – Victor Hugo en tête – sont partis de Londres pour Jersey afin de “n’être pas navrés du spectacle de la misère de leurs camarades” mais surtout afin d’éviter de leur venir en aide. »
De 1853 à 1868, de retour dans son cher et vieux Paris, Lefrançais connaît le dénuement et les emplois les plus tristes. La révolution est en berne, les reniements nombreux (George Sand) et seuls les enterrements (Proudhon en 1865) permettent de se compter. Au terme d’une longue traversée du tunnel, les assemblées reprennent, le souffle révolutionnaire refleurit ; le 12 janvier 1870, « plus de cent mille hommes font de splendides funérailles à ce jeune homme [Victor Noir] qui, il y a quelques jours, était absolument inconnu ».
La dernière partie de l’ouvrage, la plus longue, est consacrée à la guerre contre la Prusse et à la Commune de Paris. Lefrançais, militant expérimenté de 45 ans, comprend d’emblée que « la première vraiment populaire de nos révolutions », proclamée le 28 mars 1871, ne tiendra pas, qu’elle pèche par manque de moyens militaires et financiers, par l’absence de soutien de la province. Mais comme tous ceux de sa génération, il choisit de vivre l’aventure, quitte à y laisser sa peau. Appartenant à l’aile libertaire, il n’aura pas de mots assez durs à l’encontre du Conseil communal qui n’a pas le courage de prendre possession de la Banque de France alors que celle-ci finance les Versaillais. Une nouvelle fois, la république bourgeoise l’emporte et Lefrançais fuit en Suisse.
C’est également d’aventure révolutionnaire dont il est question avec Paul Mattick (1904-1981) dans un livre d’entretiens inédits étoffés d’un solide appareil critique dû à Charles Reeve aux éditions L’échappée.
Mattick, enfant des rues berlinoises, évoque son parcours : membre des Jeunesses spartakistes, outilleur aux usines Siemens, il a 14 ans quand s’embrase l’Allemagne à la chute du Kaiser. En 1920, il rend sa carte du KPD (Parti communiste) et participe, en tant que membre des organisations communistes conseillistes, à toutes les manifestations, émeutes et grèves insurrectionnelles du début des années 1920. Agitateur inlassable, il côtoie la frange des artistes radicaux et rédige de nombreux articles dans la presse révolutionnaire.
En 1926, il émigre aux États-Unis, s’installe dans la région de Chicago et rejoint les rangs déclinants des Industrial Workers of the World (IWW). Très actif durant le mouvement des chômeurs, l’agitateur Mattick se transforme progressivement en théoricien et écrit dans de nombreuses revues, comme Living Marxism, sans jamais parvenir à la reconnaissance et à l’aisance financière dont jouit son camarade Karl Korsch. Il tient d’ailleurs des propos peu amènes sur « ces intellectuels qui menaient une vie très confortable tout en faisant de la propagande pour le socialisme. Pour eux le socialisme adviendrait de toute façon après leur existence. Ils ne souhaitaient pas du tout qu’il se concrétise de leur vivant. Au contraire, ils avaient envie de mener une critique de cette société, et en même temps d’y vivre confortablement. Il y avait là un dédoublement de leur personnalité ».