Hacker joie

On sait qu’avant les années d’aspiration au renversement des règles (1960-1980) et qu’après les années de rentrée dans les rangs, le terme « utopie » renvoyait défaitistement à des projets bandants sans espoir de réalisation. On sait aussi que ce mot magnifié par Rabelais, par Fourier, par Wilde est en train de retrouver toute sa puissance libératrice.

Dans sa très fructueuse Utopie du logiciel libre (Le Passager clandestin), Sébastien Broca estime qu’il n’y a plus lieu de considérer l’utopie comme «  un refuge imaginaire hors du monde ou comme l’expression de projets voués à l’échec ». C’est dans « la matérialité du monde » et en sortant des cadres connus que s’expérimentent les « utopies concrètes » d’aujourd’hui. Parmi les exigences clés des guérilleros « libristes » tendant à « la réinventation sociale » qu’on découvre dans l’opus : le bricolage séditieux de nos technologies dont nous étions jusqu’ici les « consommateurs sidérés  » ; le sabordage des droits tentaculaires de propriété intellectuelle et la libre navigation des infos et des créations ; l’harmonisation de la réalisation de soi avec les actions collectives secouantes (Indignés, hacktivistes à la Anonymous, rebelles de Notre-Dame-des-Landes…) L’actuel bouillonnement de pratiques, de luttes, de théories critiques désavouant l’ensemble des modèles dominants, mettant en cause les fondements du salariat et filant une chicousta aux hiérarchies managériales ou autres prouve, s’écrient Broca et ses comparses hackers, « qu’il existe dans le présent des ressources pour construire les conditions collectives de l’autonomie de chacun ». Pas mal ! Le dévergondage méthodique du numérique peut être riche en chouettes surprises.

Sébastien Broca ne s’en est pas tenu là. Il a été aussi le conseiller-relecteur particulier du chercheur Marc Berdet pour son envoûtant essai Fantasmagories du capital (Zones) qui semble d’ailleurs illustrer un des préceptes de l’Utopie du logiciel libre selon lequel il serait futé de «  se réapproprier certains souvenirs confisqués par leur incorporation dans des structures de pouvoir ». Fort extravagamment en effet, le livre de Berdet convie les futurs refaçonneurs ludiques de la planète à récupérer subversivement le moment venu quelques trésors architecturaux insolites des villes-marchandises capitalistes des trois siècles derniers. À savoir «  des lieux clos saturés d’imaginaire », des « rêvoirs  » collectifs comme le couvent des Capucines, le château d’Otrante, les premiers grands magasins ou le passage de l’Opéra dont Fourier et les surréalistes avaient perçu le « potentiel utopique » malgré la subordination de ces espaces oniriques à une logique commerçante. À nous lors de nos balades dans les vestiges attractifs du passé d’arriver à déchiffrer, conclut très savamment l’ouvrage, « la topographie anthropocentrique sous la topographie architectonique  ». Autrement dit, à nous, les loulous, de dégoter le social sous la pierre.

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