Yes we CAN

Foot féminin : occuper le terrain

La Coupe du monde féminine a montré que le football et l’enthousiasme qu’il peut susciter ne sont pas l’apanage des mecs. Chez les filles aussi, on tape le ballon dans les city-stades, hors des clubs et des institutions sportives. Reportage dans le 18e arrondissement de Paris.
Par Maïda Chavak

« On est où ici ? Dans le 18e ou dans le 93 ? », demande une jeune footballeuse de bon matin. Ce samedi 29 juin, les fidèles du city-stade du square Léon, situé au cœur du quartier populaire de la Goutte-d’Or, se sont déplacés au stade des Poissonniers, coincé entre Paris et le périph’. C’est le tournoi des quarante ans des Enfants de la Goutte-d’Or, association d’éducation populaire et club de foot historique du quartier. Mais pas seulement.

Au milieu de la pelouse synthétique brûlante, une vingtaine de barrières de chantier délimitent un terrain de « five », ce foot urbain qui se joue à cinq. Des footballeuses y disputent la toute première Coupe d’Afrique des nations (CAN) féminine de la Goutte-d’or, organisée par « les sœurs Slimani », comme on les surnomme dans le quartier. La section féminine du club ayant récemment fermé suite à des problèmes d’accès aux terrains d’entraînement, Imène et Chahira, 25 et 26 ans, espèrent qu’elle rouvrira bientôt. En attendant, elles ont eu l’idée de cette compétition. « On a vu que plein de CAN des quartiers s’étaient organisées cette année, on s’est dit : pourquoi on n’en ferait pas une aussi pour nous ? », explique Chahira. Un sondage sur Instagram et pas mal de bouche-à-oreille plus tard, l’affaire était lancée.

Se réapproprier le foot

Douze équipes ont répondu à l’appel, parmi lesquelles le Mali, l’Algérie, le Maroc ou la Côte d’Ivoire, qui comptent de vrai•es supporters et supportrices dans le quartier. Les joueuses, pour la plupart âgées d’une vingtaine d’années, défendent les couleurs de leur pays d’origine ou de celui qu’elles ont adopté pour la journée. Elles viennent parfois de loin, s’entraînant dans des clubs réputés à l’instar du Racing club de Saint-Denis voire jouant à très haut niveau – l’une des footballeuses fait même partie de la sélection nationale ivoirienne. D’autres ne sont pas ou plus inscrites en club, mais pratiquent régulièrement. Qu’on se le dise : le hijab de sport n’empêche pas les footballeuses qui le portent de dribbler ni de marquer des buts.

Si les filles occupent le terrain, il est difficile de ne pas voir que, justement, le terrain est potentiellement leur seul espace à elles. Car jouer ne suffit pas pour se réapproprier le foot, éternel bastion de la domination masculine. Les garçons viennent regarder, supporter, commenter. Ils sont aussi arbitres et participent à l’organisation. Et dès que le ton monte un peu entre deux équipes ou que les joueuses posent pour une photo, les hommes sont rapidement presque aussi nombreux que les filles sur la pelouse.

Pourtant, il ne faudrait pas croire que c’est uniquement d’une présence masculine excessive que le foot féminin doit être protégé. Le football est toujours survolé par les mêmes vautours, qui ont bien compris que la montée en puissance du foot féminin était aussi celle d’un juteux business publicitaire. Ici, c’est Nike qui a fourni le matériel : ballons, testing de chaussures, T-shirts floqués au nom des pays par un label musical local… sans oublier le « terrain » et les fameuses barrières de chantier qui, dixit une joueuse, « font plus mal que les murs du city-stade quand on tombe dessus ». Au vu de la qualité du mobilier, la douloureuse, elle, n’a pas dû être très violente pour le budget d’un des plus gros équipementiers sportifs au monde.

Couscous vs. attiéké

Lieu des habituelles angoisses sportives et discussions d’arbitrage, le tournoi est aussi un vrai espace de politisation. Du financement des réparations après l’incendie de Notre-Dame à Laurent Gbagbo, au bord du terrain, ça parle politique. On l’aura compris, le foot est aussi un terrain de luttes, plus particulièrement pour les filles et dans les quartiers populaires. C’est aussi ce qu’a souligné Assa Traoré, venue pour remettre en personne le trophée et donner rendez-vous pour la prochaine manifestation organisée par le Comité justice et vérité pour Adama1.

Dans la tribune – les garçons d’un côté, les filles de l’autre –, chaque équipe attend son tour à l’ombre. La chanteuse Aya Nakamura se taille la part du lion au milieu d’une playlist où Maître Gims, Koba la D (« Niquer les PDG / Vive l’argent du rain-té ») ou Naza (« Donnez-moi mon argent / Mon million de dollars ») sont eux aussi en bonne position. Le moindre but est prétexte à danser un peu.

La finale oppose l’Algérie à la Côte d’Ivoire. « C’est couscous-attiéké, et dans tous les cas c’est l’Afrique qui gagne », entend-on au micro. Les hymnes sont diffusés sans vraiment être repris par les joueuses et les buts ne tardent pas à se répondre dans l’enthousiasme général. Le résultat final ? 5-3 pour l’Algérie, l’équipe des organisatrices. L’enjeu était double : faire une CAN féminine et se créer un lieu à soi dans le foot des quartiers. Pari réussi. Les fumigènes, oubliés dans le vestiaire, ont déjà été mis de côté pour l’an prochain.

Lucile Dumont

1 Adama Traoré, décédé en 2016 à la gendarmerie de Persan (Val-d’Oise).

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