Cap sur l’utopie
Et si la philosophie redevenait dangereuse ?
Si les prix littéraires, on s’en bat les noisettes, y en a un qui me semble bien peu déshonorant : le Groprix littéraire attribué chaque année en septembre à Toulouse dans le cadre du délirant festival du film grolandais (Fifigrot) à deux ouvrages séditieux foutant magnifiquement le souk dans les idées établies.
L’un des guillerets triomphateurs de l’édition 2019, ce fut le génial Natchave du « décravateur de concepts » déchaîné Alain Guyard, un philosophe forain très turbulent conspirant principalement dans les prisons, les maternités, les fermes, les asiles où il arrive à se faire inviter pour que « la philosophie redevienne dangereuse ». Écrits dans un argot succulent et très offensif rappelant le canard anar de la Belle Époque Le Père Peinard et les Pieds nickelés, et veillant à bien dynamiter toute espèce de convenance, les quatre brûlots de Guyard, tous parus au Dilettante, sont Natchave, La Zonzon, La Soudure, et le sublime 33 leçons de philosophie par et pour les mauvais garçons. Et ils font un bien fou !
Dans chacun d’entre eux, Guyard part en guérilla contre la philosophie « d’aspartame » pratiquée par des « bellâtres encostardés » ou des « petits crevés au teint hâve tout juste pondus de l’université qui font dans le concept avec des mines et des soupirs de rosière s’agaçant la framboise ». Leurs « plumes bien troussées », c’est « rien que du sémaphore anal à l’usage des autres petits salonnards ». À ces « clébards en train de se renifler la rondelle », Guyard oppose « les philosophes d’antan qui étaient de vraies épées, des mecs à la dure, honnis de l’ordre dominant, gnières régulièrement soupçonnés par la flicaille, prenant systématiquement le rif contre la respectabilité ambiante ». « Il faut, pour oser entrer en vraie philosophie, du froid dans les châsses et un réel tempérament de castagneur, celui-là même qui effraie les bourgeois. »
Et Guyard a beau jeu de démontrer que tous les philosophes qui comptent étaient de très mauvais garçons. La philo est d’ailleurs née en prison avec les Dialogues socratiques qui ne sont rien d’autre que « des conversations de parloir ». Plus qu’un accoucheur de vérités, Socrate était, au sens littéral, un faiseur d’anges. Antisthène, c’était « le roi de la baston ». Diogène, c’était un fabricant de « fausse mornifle ». Cratès, c’était un punk à chien dont les « pets météoriques » semaient le trouble. Maître Eckhart, c’était « Iggy Pop chez les carmélites ». Et on en apprend aussi des belles sur Marc-Aurèle, Descartes, Spinoza, Hegel, Stirner, Orwell, Gandhi, Nietzsche, Debord.
Comme disait si bien la Zazie de Raymond Queneau : « Le bon goût, nous l’emmerdons ! »
Cet article a été publié dans
CQFD n°182 (décembre 2019)
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Paru dans CQFD n°182 (décembre 2019)
Dans la rubrique Cap sur l’utopie !
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Mis en ligne le 12.04.2020
Dans CQFD n°182 (décembre 2019)
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