« Je ne suis pas féministe : mon mari est mon roc dans la tempête, pas mon ennemi de classe. […] Je ne suis pas féministe : la famille compte plus que la carrière. […] Je ne suis pas féministe : la lutte artificiellement créée entre les sexes nous détourne des vrais problèmes de notre pays. »
Ces citations figuraient sur des pancartes photographiées à l’occasion d’une campagne menée par la branche « Jeunesse » d’Alternative für Deutschland (Alternative pour l’Allemagne), l’AFD, parti politique créé en février 2013 et ayant obtenu 4,7 % des voix aux dernières législatives. Ses principales raisons d’être sont de lutter contre l’euro, contre le système, contre les homosexuels mais aussi contre l’appellation d’un chat par le mot « chat » (puisque l’AFD ne se proclame « ni de gauche, ni de droite »).
Sans surprise, l’AFD vient flatter chez ses électeurs (venus de tous bords, y compris de l’extrême gauche) une obsession qui se répand en Europe, l’invocation d’une incertaine souveraineté nationale destinée à les protéger contre une non moins improbable invasion des immigrés. Si ses membres se défendent de toute affiliation avec l’extrême droite, on ne s’y prive pas de qualifier les étrangers de « lie sociale [1] », on souhaite mettre fin au partenariat privilégié Allemagne-France pour se rapprocher de la Russie, et on organise des putschs visant, entre autres, à donner au parti une direction ouvertement anti-islam.
Le moins que l’on puisse dire est que la droite de la droite n’a jamais été un fer de lance de la lutte pour l’égalité des sexes. Pour prendre le cas de notre parti populiste à nous, le FN, même si Marine Le Pen ne se permettrait plus de déclarer comme son père que le corps des femmes ne leur appartient pas [2], ses coups de bélier répétés contre le droit à l’avortement ne poursuivent évidemment pas d’autre objectif que de continuer à diffuser les poncifs patriarcaux les plus rances.
Bien sûr, on retrouve ici le désormais bien connu repli sur des valeurs morales, vécues comme intangibles en cas de tempête économique et sociale. Mais la nouveauté est que dans la tête des rentiers, essayistes et ex-CDU [3] qui forment la matière grise de l’AFD, pour parler aux jeunes, il faut désormais taper sur les femmes. De préférence avec des slogans récupérant des mots que la gauche n’ose plus prononcer depuis longtemps, comme « ennemi de classe » ; et en opposant le féminisme au « vrai » combat politique.
Cette campagne révèle deux choses : d’abord, que le féminisme tel que le pratiquent nombre de gouvernements occidentaux, qui le récupèrent après l’avoir vilipendé, est désormais si institutionnalisé qu’il peut être considéré comme faisant partie du « système » – donc, de l’ennemi à abattre [4]. Mais elle est aussi la conséquence logique de la politique menée par des gouvernements qui se concentrent sur des problématiques « sociétales » (droits des femmes et des homosexuels) au détriment de l’économie et du social (où ils ne risquent plus un orteil), comme si le peu d’énergie mis dans la lutte contre les discriminations se payait par l’inertie contre les banquiers et les multinationales !
Une fois encore, le féminisme est donc perçu comme l’ennemi de la lutte des classes. Que personne ne s’avise cependant d’oublier que tempête ou pas tempête, l’eau, goutte à goutte, creuse le roc...