Édition, distribution, librairies

Enjeux et cartographies de la chaîne du livre

Carte réalisée pour le journal CQFD n°146 (septembre 2016)
par Séditions graphiques

À télécharger ici :

Cartographie critique du secteur du livre 2016

Chaque année, le marché du livre se concentre davantage entre les mains de grands groupes industriels, de moins en moins liés historiquement aux métiers de l’édition. Il en va par exemple ainsi de Scor assurances dirigé par Denis Kessler, ex vice-résident du Medef qui a racheté les prestigieuses Presses universitaires de France, ou de Lagardère, qui, après avoir fait fortune grâce à la vente d’armes détient aujourd’hui Hachette, Grasset, Fayard, etc.

La diffusion-distribution, métier peu valorisant consistant à promouvoir les nouveautés dans les lieux de vente et à assurer la livraison des commandes, s’est rendue maître du secteur, générant les meilleurs chiffres d’affaire et orientant les choix de publication des éditeurs en fonction de la rentabilité des produits.

Quant aux points de vente, ils ont aussi évolué ces dernières années : les librairies ne représentant plus qu’une vente sur cinq. Le reste se distribue entre Internet (Amazon, Decitre, etc.), les Relay détenus par Hachette/Lagardère (qui ont su créer un monopole dans les gares générateur d’arbitraire dans le choix des titres) ou les grandes surfaces (Auchan, Leclerc, etc.).

La carte réalisée en septembre 2016 pour le dossier du numéro n°146 de CQFD, "Des livres et des luttes" permet de saisir en quoi la poésie, la critique, la pensée et la vivacité que les livres promettaient de conserver dans leurs pages sont en train d’être assassinés par les logiques du marché et le néolibéralisme.

Heureusement, des collectifs et des structures indépendants et audacieux continuent de combattre (voir ci-dessous), et le numéro 146 de CQFD partage avec ses lecteurs et lectrices certaines de ces luttes. Pour le commander, c’est ici : http://cqfd-journal.org/Ce-qu-il-fa...

Schéma à télécharger ici :

Livres : une autre idée de la logistique à Barcelone

10% des publications dans l’État espagnol sont en langue catalane. Mais les différences linguistiques ne suffisent pas à expliquer la méfiance des éditeurs ibériques envers la centralisation. Près de 200 entreprises de diffusion/distribution existent à travers le pays, contre une dizaine en France. À Barcelone, une petite structure tient tête aux géants du secteur. Petit topo dans le quartier caniculaire du Raval, par Miguel Martin, participant de Virus.

« Virus est né en 1991, avec une équipe dont il ne reste plus personne aujourd’hui. Dans ces années-là, la gauche s’est reconfigurée à partir des groupes formés dans les années 1970, et de ceux de la Transition démocratique (le régime démocratico-libéral qui s’est imposé depuis une quarantaine d’années). Un nouveau tissu de dissidences s’est alors fabriqué, avec le mouvement des occupations (squats et centres sociaux). 1992 marque l’année de grandes mobilisations dans l’État espagnol, celle de la commémoration des 500 ans du génocide latino-américain, et surtout celles contre les Jeux Olympiques de Barcelone et de l’Exposition universelle à Séville en 1992. Ces deux derniers événements sont le point culminant de ce qui s’est tramé durant la Transition : le pacte entre le franquisme et la ploutocratie des classes dominantes au sein du gouvernement. C’est le triomphe de la modernité capitaliste dans le pays. Et c’est dans ce contexte qu’est né Virus.

Tout a commencé dans une librairie de la gauche radicale, El Lokal, rue de la Cera, dans le quartier du Raval, qui existe depuis 1982. Au départ, c’était une agence de presse alternative et une structure de diffusion de fanzines et revues. De là est née une maison d’édition libertaire, publiant des essais et des témoignages historiques sur la guerre d’Espagne. La question de créer en même temps une structure de distribution pour les livres s’est imposée dès le départ. C’est une condition d’autonomie, d’une part, et de diffusion large – même dans le circuit commercial. Virus est bicéphale : une maison d’édition avec une huitaine de parutions par an et une structure de diffusion/distribution avec une cinquantaine d’éditeurs dans son catalogue – de la micro-édition aux grands éditeurs camarades comme Traficantes de Sueños ou Pepitas de Calabaza.

Nous avons le statut d’entreprise, mais fonctionnons en coopérative, de manière horizontale, et sans aide publique ; on cherche parfois des subventions, mais il n’y a plus d’argent dans les caisses de l’État pour la culture, d’autant moins quand elle est critique ! Tout le monde a le même salaire, en temps plein, sans différence de statut ni d’ancienneté. La prise de décision est toujours collective, tant sur nos choix éditoriaux que sur nos stratégies de distribution, comme par exemple pour décider de qui entre au catalogue ou pas. Nous faisons des assemblées tous les quinze jours, une fois pour l’éditorial et discuter de « théorie », une fois pour la distribution et parler des aspects techniques. Il y a six personnes qui travaillent ici : une pour la coordination des éditions et la communication, une pour la comptabilité et l’administratif, deux pour le travail commercial de présentation des nouveautés aux librairies, et deux personnes en charge du travail logistique (les réceptions, les envois, le stock).

Virus distribue les livres dans deux types de milieux : 45% dans le milieu alternatif et engagé (centres sociaux, squats, librairies associatives et politiques – il y en a environ 25 en Catalogne), et le reste dans les librairies conventionnelles (environ 150 en Catalogne). Ensuite, nous distribuons aussi les éditeurs catalans hors de la région. Certains éditeurs choisissent de confier leur catalogue à de grands diffuseurs-distributeurs pour les librairies conventionnelles et nous confient leurs titres pour les lieux alternatifs. Puis reproduisent le même schéma dans chaque région. Les conditions sont les mêmes pour les librairies que pour les lieux alternatifs, mais nous nous adaptons aux situations de chacun, en donnant parfois une confiance de base à certains squats qui viennent de s’ouvrir, ou en leur proposant un système de dépôt-vente. On est toujours étonnés de voir que beaucoup de collectifs autogérés sont aussi sérieux voire plus que les commerces.

Cela crée un système un peu compliqué à gérer, mais il permet de décentraliser la répartition des livres, et donc de gagner à la fois en indépendance, puisqu’il n’y a pas d’exclusivité, et en volume de diffusion, car plus de lieux sont visités. Nous mêmes, qui faisons à la fois de l’édition et de la distribution, nous passons par dix autres structures amies pour distribuer nos livres dans tout l’État espagnol, et nous sous-traitons quelques-uns de nos éditeurs catalans à ces mêmes structures. Cela dit, on sent aujourd’hui la tension s’amplifier dans le secteur de la diffusion/distribution : les gros distributeurs cherchent à faire signer des contrats d’exclusivité avec les éditeurs et les libraires, accentuant ainsi la concentration des capitaux. Mais depuis la crise de 2008 dans le pays, les éditions ou les librairies critiques et politiques, hors des grands groupes, sont en pleine croissance. Et les fonctionnements horizontaux comme le nôtre se multiplient. Doucement mais sûrement. »

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