L’édito : La fabrique du bouc émissaire (phase 5)
« Cette phase correspond au moment où, de façon plus ou moins ritualisé, une fois la désignation effectuée, les accusations se font de plus en plus pressantes, de plus en plus violentes. À ce moment, celui qui lance la première pierre déculpabilise le reste du groupe qui s’engouffre dans la voie ainsi tracée, de plus en plus vite, en se posant de moins en moins de questions, autant happé par la dynamique que par les ressentiments réels. Le groupe devient une foule dans une indifférenciation quasi totale, dans une logique où les différences liées à la nature du ressentiment s’estompent au profit du ressentiment lui-même. » Tirée du site de l’Observatoire du bouc émissaire et des violences institutionnelles, l’analyse sied comme un gant plombé à cette rentrée 2016 en France.
La course à l’échalote islamophobe a fait la tournée des plages. Relayée fin août par le concours de pitreries xénophobes entre Sarkozy et Valls, l’un dévoilant son programme identitaire d’« assimilation » des populations immigrées, l’autre exigeant la « discrétion » des « pas-de-chez-nous » dans l’espace public. La France devient une coquille vide qui ne tiendrait debout que par ses phobies anti-arabes et les grigris de l’identité nationale.
C’est bien à une stratégie du choc qu’est soumis ce pays. Climat anxiogène, méfiance, ennemi intérieur, parole raciste libérée, « israélisation de la sécurité [1] », impunité policière… S’agit-il d’écraser la conscience collective sous une telle angoisse que dix lois Travail puissent passer sans même utiliser le 49.3 ? En tout cas, la classe politique tient là le grand effroi qui lui permettra de survivre encore quelque temps à sa vilenie et à son impopularité.
Alors que la compétition de tous contre tous imposée par le capital mondialisé obscurcit l’horizon, beaucoup évoquent les risques de guerre civile rongeant les sociétés occidentales. Ni avec le racisme d’État, ni avec les tarés du djihad : enrayer cette mécanique délétère ne pourra venir que de la rue, des places, d’un mouvement social.
Dossier spécial 12 pages : Des livres et des luttes
La nuit des libraires : Témoignage d’un ancien libraire indépendant > Que faire quand les lecteurs se raréfient, les loyers augmentent, les grandes surfaces s’implantent et les distributeurs augmentent leurs marges ? Tenir, tenir... jusqu’à fermer un lieu de sociabilité.
« La distribution est une condition d’autonomie » : Une autre idée de la logistique à Barcelone > Près de 200 entreprises de diffusion/distribution existent à travers le pays, contre une dizaine en France. À Barcelone, une petite structure tient tête aux géants du secteur. Petit topo dans le quartier caniculaire du Raval, par Miguel Martin, participant de Virus.
De quoi Amazon est-il le nom ? > Une série de grèves et d’enquêtes journalistiques ont dévoilé le monde industriel qui se cache derrière le site Internet d’Amazon. Mais depuis peu, la critique du e-mastodonte s’est enrichie d’une dénonciation de ce qu’il produit : des entrepôts immenses dans lesquels des ouvriers s’échinent à manutentionner des colis commandés depuis un fauteuil de salon.
Avec des fléchettes en papier : Vies et combats de la Petite Bibliothèque Ronde de Clamart > Gouverner en gérant, c’est le nouveau credo des édiles politiques. Dans la banlieue parisienne de Clamart, une librairie pour enfants au cœur d’une cité en fait les frais : prouver son efficacité ou dégager, voilà le deal de la mairie.
Mais aussi : un entretien avec le collectif des correcteurs précaires de Paris, un autre avec Cédric Biagini sur la lecture numérique et une rencontre avec le collectif des travailleus/euses du livre de Toulouse. Mais aussi un bref regard sur l’édition critique qui n’est pas un dîner de gala !
Et enfin et surtout... Une superbe Carte du Monde de l’édition en France, réalisée par Séditions Graphiques.
Enquêtes et reportages
Pour ce numéro de rentrée, CQFD va vous raconter ses "vacances" :
On part pour la Bretagne sud où comme ailleurs en France, le bilan touristique est morose et les commerçants tirent la gueule. Au port du Crouesty, commune d’Arzon, mi-juillet, on a trouvé le bouc-émissaire idéal : des militants CGT venus informer les saisonniers sur leurs droits. C’est : La loi El Khomri à la plage.
Sur le chemin du retour, passage obligé par Bure en « été d’urgence » et sa poubelle nucléaire : Enfouir des déchets radioactifs sous les maisons, c’est plus compliqué que les balancer à la mer – ce que faisait la France jusqu’en 1982. Parce qu’une contestation internationale a fait reculer les pratiques d’immersion, l’industrie nucléaire parie désormais sur l’isolement de quelques populations rurales pour cacher ses encombrants rejets. C’est tout l’enjeu de la lutte autour du bois Lejuc qui secoua la Meuse – et au-delà – cet été.
De retour à Marseille, on nous a dit que la ville allait changer car... Aux forceps, Aix-Marseille-Métropole a fini par voir le jour, avec son organe décisionnel, le conseil métropolitain, et la promesse d’un « projet d’aménagement et de développement économique ». Les multinationales ont déjà mis le pied dans la porte entrouverte. Aix-Marseille : Métropole ou mégapole ?
International
Israël : L’impasse de l’« israélisation de la sécurité » > Après l’attentat de Nice et l’assassinat du père Hamel à Saint-Étienne-du-Rouvray, l’ancien ministre de la Défense, Hervé Morin, en appelait « à l’israélisation de notre sécurité ». Depuis les attentats de Charlie-Hebdo, cette référence est de plus en plus brandie dans la course au tout sécuritaire. Mais sur quoi repose au juste le modèle israélien ? Cet été, CQFD avait un envoyé spécial à Tel-Aviv.
Turquie : Le « cadeau du ciel » à Erdogan > Le 15 juillet dernier, une tentative de coup d’état a capoté en quelques heures et a permis, par sa répression, au président Recep Tayyip Erdogan de renforcer son pouvoir sans partage. Étienne Copeaux, historien du nationalisme turc, revient sur l’arrière-plan politique de ces tragiques querelles byzantines.
Rohingya : L’autre crise des réfugiés > 2015 a marqué le début officiel d’une « crise des réfugiés » en Europe. En Asie du Sud-Est, des bateaux continuent à traverser le golfe du Bengale, bondés de réfugiés Rohingya. Cette minorité musulmane de Birmanie fuit les violentes persécutions dont elle est victime dans son pays. Reportage en Malaisie où les Rohingya sont tant bien que mal accueillis malgré l’hostilité farouche des autorités locales.