Si vous n’avez pas profité du confinement pour faire le plein de lectures séditieuses grisantes invitant à refaçonner le monde, il vous reste les dérives des mois d’été pour vous rattraper, mille marmites !
Écologie ou catastrophe. La vie de Murray Bookchin de Janet Biehl (éd. L’Amourier). Accusé dans les années soixante de tirer des plans sur la comète, autrement dit de n’être qu’un utopiste, le tribun insurgé Bookchin (1921-2006) répliqua avec panache : « Oui, je suis un utopiste. Mais l’utopie est devenue indispensable au maintien de la vie sur Terre ! » La palpitante biographie écrite par sa sœur d’armes et de nuits câlines, Janet, raconte avec une belle verve comment le gaillard fonda l’écologie sociale et la mit crânement en œuvre à travers les premières expériences de municipalisme libertaire – dont l’objectif rusé était de conquérir çà et là le pouvoir pour y renoncer aussi sec en le refilant à des assemblées chouettes de citoyens mutinés crachant sur les rapports de domination.
Revigorante aussi, Agir ici et maintenant (éd. du Commun), l’étude fouillée de l’anarcho-syndicaliste ibérique Floréal Romero sur la façon dont Bookchin a inspiré les combats en Andalousie, au Chiapas ou au Rojava pour une société « joyeuse, libre, juste » n’excluant aucune forme d’espièglerie offensive. C’est ainsi que dans sa jeunesse new-yorkaise frondeuse, il arriva que Murray, affrontant la police à cheval dans une manif non autorisée, soit embarqué avec des camarades dans des Black Maria (fourgons policiers) puis jeté dans une grande cellule du « Manhattan Detention Complex ». Et qu’il étrenne pour lors un efficace moyen d’être vélocement libéré : la pissade collective au nez et à la barbe des cognedurs.
Et puis, le festival Bookchin continue avec deux textes clés de notre agitateur allumé. L’Écologie sociale (éd. Wildproject) et Changer sa vie sans changer le monde (éd. Agone) dont la foudroyante force de frappe se cristallise dans un dilemme fort à l’ordre du jour : « Faisons l’impossible sinon nous aurons l’impensable. »
À fourrer également dans sa gibecière de vacances : Les Villes imaginaires de l’essayiste irlandais Darran Anderson (éd. Inculte). Dans le chapitre sur les « cités alchimiques », on trouve quelques plans excitants de « villes flottantes » dessinées par l’architecte iconoclaste Herman Sörgel dans les années 1920 qui auraient permis de « s’enfoncer par bateau dans un Sahara luxurieux ».
Mais aussi une Cité aux mains fertiles de Béatrice Barras (éd. Repas) qui retrace guillerettement un « saut dans l’inconnu » collectif à Valence, dans la Drôme. Y a une trentaine d’années, on rénove une cour, on installe un atelier de tricotage, on cultive des jardins au pied d’immeubles, on dissémine une vingtaine de ruches et on métamorphose le quartier lugubre de Fontbarlettes en « rêve devenant réalité » où le « savoir-vivre ensemble » va prendre un tour innovant. Et festif. Et politique. Sur la base de « nul n’est nul », de viva la « recherche-action », les conseils de jardins anarchisants, les frayements de chemins insolites, les floraisons de rencontres piquantes.
Sans oublier ma grandiose obsession estivale : la réédition aux Presses du réel et chez Stock du plus épastrouillant brûlot de tous les temps, Le Nouveau Monde amoureux de Charles Fourier : « C’est en vaquant à nos plaisirs présents qu’on travaille le mieux pour l’avenir. »
[/Noël Godin/]
>>> Cet article est extrait d’un dossier de 17 pages consacré aux sexualités, publié sur papier dans le numéro 189 de CQFD (juillet-août 2020).