Dubamix Acting dub
CQFD : Peux-tu revenir sur les différentes étapes de l’existence de Dubamix ?
Greg : Dubamix est né en 2003 lorsque j’ai commencé à me servir des logiciels de musique assistée par ordinateur. Je pouvais faire de la musique seul, sans attendre les répétitions avec mon groupe de reggae (Lion Stepper). En tant que libertaire, je ne concevais pas de jouer sans faire passer un message, mais problème : je ne voulais pas chanter ! Du coup, très rapidement, j’ai eu l’idée d’incorporer des extraits de discours d’hommes politiques et de les confronter avec la réalité sociale. Ainsi, cela permet à certains de découvrir des citations hallucinantes mais aussi des engagements peu connus dans le milieu du reggae et du dub. Depuis le début du projet, les musiques sont sous licence libre (Creative Commons) et en téléchargement gratuit. Bonj (bassiste et ingénieur du son de Lion Stepper) a masterisé l’album Mix a dub en 2008 qui a été pressé en Espagne (pour éviter les autorisations Sacem). En 2010, on a commencé à faire des concerts. Les musiques ont été recomposées et agrémentées de vidéos mixées en live. Buss (également membre du groupe Lion Stepper) nous a rejoints, puis Nico, ingé lumières.
Tu es tombé dans la musique quand t’étais tout jeune. Raconte-nous un peu ton parcours ?
J’ai un parcours très « classique »… J’ai commencé la musique au conservatoire à l’âge de 6 ans : saxophone et solfège. J’ai ensuite pris des cours de piano. Vers l’âge de 12 ans, j’ai été attiré par le jazz, puis par toutes sortes de musiques, dont le reggae. À 14 ans, j’ai rejoint le groupe Lion Stepper et travaillé les arrangements pour la section cuivre. En parallèle, j’ai appris la guitare. Ensuite, j’ai utilisé des logiciels, notamment Fruity Loops. C’est à cette période que je suis entré en musicologie à la Sorbonne, où j’ai pu réellement découvrir et apprécier la musique dite « classique » grâce à des profs remarquables comme Vincent Barthe et Gilles Léothaud. J’ai pris conscience que cette musique n’est pas une musique molle réservée à la bourgeoisie mais une musique qui peut « groover » et nous procurer des sensations indéfinissables. Du coup, j’ai eu l’envie de mêler des samples de musique classique sur du dub (Haydn dans le titre Haydub, Bach et Lalo dans Tango, Beethoven et Brahms dans Rap In Dub).
Mais tes influences musicales sont plutôt le reggae, la chanson française réaliste, le rap.
Le reggae est de loin la musique qui me touche et m’influence le plus. C’est la seule musique qui me fait bouger la tête à ce point, que je le veuille ou non ! Que ce soit du rocksteady des années 1960 (Ken Boothe, The Paragons, Delroy Wilson), du reggae roots des années 1970 (Dennis Brown, Jacob Miller, Horace Andy) ou bien de l’électro-dub d’aujourd’hui (High Tone, Kaly Live Dub, Kanka), j’ai toujours ce feeling indescriptible ! Mais beaucoup d’autres styles m’ont influencé : le jazz, le rap conscient (Assassin, La Rumeur, Scred Connexion sont remixés dans Police, Public
Enemy dans Rap in dub, Kyma dans Dvordub), la chanson française « à textes » (Les Patriotes de Brassens dans Balkan Dub et on entend Ferré gueuler contre le marketing dans Tango), la drum’n’bass, la hardtek, etc.
Et puis le dub, ce style venant de Jamaïque et qui a été importé, à l’instar du ska, par les rude boys1 à Londres.
Oui, le dub provient de Jamaïque. Pour la petite histoire, il apparaît à la suite d’une erreur lors du pressage d’un dubplate (disque vinyle) : l’ingénieur du son aurait oublié de mettre la voix, laissant un morceau entièrement instrumental. Or il se trouve que le public a adoré. Petit à petit, ces versions instrumentales vont constituer les faces B de nombreux 45 tours. De là vont naître deux innovations majeures : les DJ’s se mettent à « toaster » (parler en rythme) sur ces instrumentaux lors des sound systems (c’est le cas de Count Machuki, U Roy, Big Youth et cela va très clairement influencer le rap) ; et les ingénieurs du son vont ajouter de nombreux effets (échos, réverbération, flanger, phaser) à ces versions. Le dub est en fait le résultat de cette deuxième innovation : on peut donc le définir comme du reggae avec beaucoup d’effets.
Comment composes-tu ? Comment choisis-tu les nombreux samples (extraits musicaux) et les extraits de discours que tu incorpores aux morceaux ?
En général, tout commence par une idée de thème selon l’actualité. J’essaie alors de récupérer le plus possible d’extraits de discours ; la difficulté étant de trouver des extraits dont la qualité sonore soit exploitable. Ensuite, je compose une ligne de basse, les accords, la batterie. Puis j’intègre les discours et cale les extraits des phrases les plus marquantes sur le rythme de la musique. En parallèle, dès que j’écoute un morceau que je pense remixer, je note directement les références exactes de la musique avec le minutage de l’extrait qui m’intéresse. En général, lorsque j’intègre un sample, d’autres idées de samples viennent ; je vais alors découper d’autres fichiers et voir si ça colle…
Au quotidien, tu es prof de musique dans un collège du 93. Comment concilies-tu ton métier et ta passion ?
J’ai justement la chance d’avoir pas mal de temps libre… Ça me permet donc de répéter, composer, militer à ma guise. Mais mon métier de prof me passionne également, car il consiste à transmettre ma passion et à développer l’esprit critique des élèves. J’essaie de plus en plus de me rapprocher d’une pédagogie antiautoritaire de type Freinet, notamment via la création de projets par les élèves eux-mêmes (écriture de textes, mise en musique, mise en scène, réalisation de vidéos, anticipation des problèmes logistiques).
Pourquoi avoir composé une musique sur Notre-Dame-des-Landes ?
Ce qui se passe là-bas est symptomatique du modèle de société qu’on tend à nous imposer. Alors qu’on nous dit de nous serrer la ceinture, qu’on asphyxie les services publics, qu’on ne jure presque plus que par les emplois précaires car « c’est la crise » et dans le même temps, on nous sort un projet d’aéroport qui n’aura pour utilité que de permettre à Vinci d’engranger davantage de profit. Ce que je trouve enthousiasmant, c’est que les opposants à l’aéroport qui occupent actuellement la ZAD n’ont pas opté pour une méthode de lutte traditionnelle du genre « manif ballon » pour dénoncer le projet. Ils ont choisi des moyens de lutter en adéquation avec le projet de société qu’ils défendent (agriculture locale sans pesticides, autogestion, partage, mode autonome « Do it Yourself »). Du coup, j’ai eu envie de composer une musique sur ce thème pour que les gens qui connaissent Dubamix sans connaître ce projet d’aéroport soient enfin au courant des enjeux que dissimule cette lutte et pour que les « zadistes » sentent qu’ils sont soutenus !
1 « Rude boys » désigne à l’origine les mauvais garçons des ghettos jamaïcains ou émigrés dans le sud de Londres dans les années 60, à Brixton notamment, puis par extension le terme s’appliquera aux amateurs de ska, de rocksteady et roots reggae.
Cet article a été publié dans
CQFD n°106 (décembre 2012)
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Paru dans CQFD n°106 (décembre 2012)
Dans la rubrique Culture
Par
Illustré par Laurent Bugnet
Mis en ligne le 08.02.2013
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