La France est bleue comme un gyrophare

Dernières nouvelles du Président des flics

On a vite qualifié Macron de « Président des riches » au regard de sa politique pleine de délicatesse (suppression de l’ISF, entre autres) envers les plus fortunés de l’Hexagone. Mais la dernière loi sécuritaire du gouvernement et un coup d’œil dans le rétroviseur de ce quinquennat confirment qu’il est aussi (surtout ?) le Président des flics.
Illustration de Clément Buée

À moins de trois mois de l’élection présidentielle, Emmanuel Macron vient donc de tirer une nouvelle salve sécuritaire en promulguant le 24 janvier une loi relative « à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure ». Cela s’est fait de manière presque clandestine, avec un texte voté en procédure accélérée quelques jours avant Noël, et passé sous les radars d’un espace médiatique alors saturé par l’explosion du variant Omicron.

Légalisation des drones policiers

Son contenu ? Un patchwork sans grande cohérence, si ce n’est une approche coercitive tous azimuts. Clairement, cette loi a pour objectif de satisfaire les exigences des syndicats policiers les plus durs et autres tenants d’un État « fort ». On y retrouve, ô surprise, un des grands sujets évincés de la loi « Sécurité globale » du printemps 2021 : l’autorisation des drones policiers.

Le contenu de cette loi ? Un patchwork sans grande cohérence, si ce n’est une approche coercitive tous azimuts.

Si la légalisation de l’usage de ces mouchards volants avait à l’époque été retoquée par le Conseil constitutionnel, elle a cette fois franchi sans encombre la barrière des « Sages ». « Le Conseil constitutionnel autorise la police et la gendarmerie nationale à utiliser les drones tant pour des fins administratives que pour les enquêtes judiciaires, décrypte la Quadrature du Net, association de défense des libertés numériques. Par exemple, les caméras sur drones pourront être déployées au cours de manifestations et rassemblements jugés comme “susceptibles d’entraîner des troubles graves à l’ordre public”, aux abords de lieux ou bâtiments “particulièrement exposés à des risques de commission de certaines infractions” ou encore dans les transports ou aux frontières. Le Conseil constitutionnel ne trouve rien à redire sur la disproportion et l’imprécision de ces larges finalités. De même, il valide le fait que ces nouvelles mesures soient simplement autorisées par un préfet (et non un juge) qui estimera seul si ces technologies de surveillance sont nécessaires et proportionnées. En somme, la police autorisera la police à utiliser des drones selon sa propre appréciation de la nécessité de surveiller…1 » Seule limitation notable imposée par les (pas si) « Sages » : l’usage des drones par les polices municipales reste pour l’instant proscrit.

Toute puissance policière

Mais le texte ne s’arrête pas en si bon chemin, puisqu’il comporte également un volet consacré à la responsabilité pénale. Une manière de répondre, notamment, à l’émotion suscitée par l’attaque de policiers à Viry-Châtillon (Essonne) en 2016 – deux d’entre eux avaient été grièvement brûlés. Si les faits sont antérieurs à la mandature Macron, c’est plus récemment que leurs suites judiciaires ont suscité l’ire des syndicats de policiers : en avril 2021, le procès en appel des suspects a débouché sur plusieurs condamnations, mais aussi huit acquittements (trois de plus qu’en première instance). En (mauvaise) réponse, la nouvelle loi crée un délit spécifique de « violences volontaires contre les agents chargés de la sécurité intérieure » (policiers, gendarmes, militaires et surveillants de prison). Les condamnations pourront désormais atteindre cinq à dix ans (en cas de circonstances aggravantes) de prison, sans réduction de peine possible. Cela confère un statut particulier aux forces de l’ordre, dont divers syndicats et associations s’inquiètent dans un texte commun : « Le seul fait de bousculer un policier, par exemple, sans même qu’il perde l’équilibre, devient passible de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende. Il en résulte une disproportion manifeste entre le comportement et la sanction encourue2. » Des ajustements législatifs d’une telle sévérité laissent pantois, surtout partant d’une affaire dont l’instruction avait été entachée d’irrégularités (rédaction par les enquêteurs de procès-verbaux truqués) que Mediapart a particulièrement bien documentées3.

Et ça continue, encore et encore

Le fond de l’air a beau être sécuritaire, on pourrait se dire que la coupe bleue est pleine, mais cette loi à entrées multiples comporte encore d’autres serrages de vis accablants. Elle permet ainsi l’incarcération en détention provisoire de mineurs étrangers n’ayant pu prouver immédiatement leur âge devant un tribunal, autorise les prises d’empreintes digitales sous contrainte, ainsi que la vidéosurveillance des cellules de garde à vue.

En clair : cette panoplie de mesures hétéroclites déboulant dans les derniers temps d’un quinquennat en roue libre semble donner le la de la future campagne du presque candidat Macron. Ce qu’il a confirmé en présentant à Nice, le 10 janvier dernier, les grandes lignes de la future loi « d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur » (Lopmi) face à un parterre de forces de l’ordre dûment galonnées et annonçant une enveloppe de 15 milliards pour le budget global de la sécurité lors des cinq prochaines années : la sécurité, c’est lui.

Frédéric Peylet
Cinq années d’inflation sécuritaire

→ octobre 2017 : Loi « renforçant la sécurité intérieure et la lutte l’action contre le terrorisme » – Si elle met fin à l’état d’urgence en vigueur depuis les attentats de 2015, elle fait passer dans le droit commun certaines mesures d’exception qui y étaient rattachées comme l’assignation à résidence et la perquisition administrative.

→ septembre 2018 : Loi « Asile et immigration » – Pour la justifier, son instigateur, Gérard Collomb, ministre de l’Intérieur, argue de régions « submergées par des flux de demandeurs d’asile ». En résumant les grandes lignes, la Cimade souligne alors qu’ » hormis de rares mesures protectrices, cette loi instaure principalement des mesures renforcées de restrictions, de contrôles et de “tris”, à des fins d’empêchement d’entrée ou d’expulsion et de bannissement du territoire ».

→ décembre 2019 : Création de la Cellule Déméter – Cet organe de renseignement de la gendarmerie nationale est officiellement constitué pour « assurer la sécurité » des exploitants agricoles. La convention de partenariat signée avec la FNSEA et le ciblage des militants écologistes dès les premières investigations éclairent sur sa véritable vocation : lutter contre celles et ceux qui remettent en cause le modèle dominant d’agriculture industrielle4.

→ mai 2021 : Loi « Sécurité globale » – Vaste catalogue d’outils de surveillance. Nous écrivions à son sujet que cette loi signifiait « un basculement décisif vers la société de contrôle technologique […], ça pue5 ». Nous maintenons.

→ juillet 2021 : Loi « relative à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement » – Passée au Parlement en procédure accélérée, son contenu recèle des dispositifs à haut potentiel liberticide dont le stockage, le partage et les copies des données numériques recueillies lors d’enquêtes policières, qui échappent désormais à toute forme de contrôle6.

→ août 2021 : Loi « Séparatisme » – Fourre-tout répressif d’inspiration islamophobe, le texte inquiète aussi par ses à-côtés visant à étendre les motifs de dissolution d’associations, confortant les aspirations d’un gouvernement à une société intégralement sous contrôle.

On notera que dans cet inventaire non exhaustif, l’année 2020 est blanche et on pourrait presque dire « Merci le Covid » pour le répit, mais on n’oublie pas ce que l’état d’urgence sanitaire a provoqué comme extension du domaine de la surveillance, ni comment, d’attestation de sortie en passe sanitaire puis vaccinal, l’État a intensifié depuis sa mainmise jusqu’aux strates les plus privées de nos existences.

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CQFD n°206 (février 2022)

Dans ce numéro qui fait sa fête à Blanquer, un dossier sur « les prolos invisibles de l’éducation nationale ». Mais aussi : un détricotage de la Macronie sécuritaire, un entretien anthropologique sur le règne des frontières, une plongée en bande dessinée sur la question du « rétablissement » en psychiatrie, des vaccins communards, des Balkans en tension et des auteurs de science-fiction qui jouent aux petits soldats.

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