Répartition genrée de l’espace

Dans les cours de récréation, des garçons crampons

Le court-métrage Espace montre comment la pratique du foot dans les écoles tend à réserver l’usage des cours de récré aux garçons. Sans fournir de solution miracle, les projections de ce film en milieu scolaire permettent déjà d’ouvrir un débat.
Illustration d’Elena Vieillard

«  Ça m’énerve parce que les garçons, à l’école, ils nous interdisent de jouer au foot. » Cette phrase, quelle petite fille ne l’a pas prononcée ? C’est ainsi que débute Espace, un court-métrage réalisé par Éléonor Gilbert en 2014. Le dispositif est d’une simplicité absolue. Devant la caméra, une enfant commente la division de sa cour de récré en gribouillant des croquis au crayon. Dessinant les lignes des terrains de foot, elle démontre qu’ils occupent presque toute la cour. Et en plus, les garçons dépassent. Résultat ? Les filles n’ont quasiment plus de place pour jouer.

Ce témoignage filmé est loin d’être anecdotique. Il réussit à transformer nos souvenirs d’enfance à l’arrière-goût chouïa rance en un outil bien efficace pour aborder les questions de genre en milieu scolaire. Quand on projette Espace en classe, quel que soit le milieu d’origine des mioches, les réactions sont les mêmes. Les filles sont captivées, écarquillent les yeux et demandent le silence aux garçons qui mettent le oaï et se bouchent les oreilles. Le film terminé, elles s’insurgent : « Elle a raison ! Ici aussi, ça se passe comme ça ! » Et les gars de répliquer : « C’est pas vrai, vous râlez pour rien ! » Le genre de débat qui rappelle bien des situations entre adultes.

Les réflexions de la petite fille filmée par Éléonor Gilbert ne se limitent pas à une opposition binaire. « Certains garçons nous écoutent quand on leur demande de pas dépasser, mais les autres disent : c’est pas notre problème... » lâche-t-elle avant de préciser : « Y a pas que les garçons qui interdisent des choses. Dans la cour, les animateurs mettent des grands sacs avec des jeux dedans et les filles empêchent les garçons de prendre les cordes à sauter. Elles disent que c’est que pour les filles. » En 2006, Sophie Ruel, maîtresse de conférence en Sciences de l’éducation à l’université Toulouse-2, dressait un constat similaire 1 : « En même temps qu’ils s’approprient collectivement les lieux, les enfants acquièrent la conscience d’appartenir à un groupe : ils sont filles ou garçons. »

Illustration d’Elena Vieillard

Derrière la caméra, la cinéaste demande à la fin du film : « Pourquoi, tout simplement, vous n’allez pas occuper le terrain ? » Et la petite fille de répliquer avec ironie « Tout simplement ? » Quant aux enfants auxquels on projette le film, ils finissent par demander : « Qu’est-ce qu’on fait, alors ? » Alors on bredouille, un peu désolée, et puis on répond qu’on n’a pas trouvé de solution miracle. Dans certaines écoles, le marquage au sol des terrains de foot a été effacé. Dans d’autres, il y a des jours où les ballons sont réservés aux filles. Un début. En attendant, on fait comme ailleurs : on parle, on se confronte, on réfléchit, on lutte... Et petit à petit, on tente de gagner du terrain.

Pauline Laplace
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Cet article a été publié dans

CQFD n°214 (novembre 2022)

Dans ce numéro empli de gestes techniques incroyables, un dossier sur le foot business et ses contraires : « On rêvait d’un autre foot ». Mais aussi : la grève des raffineries, le procès-bâillon de BFM TV contre le journaliste Samuel Gontier, un reportage à Lampedusa, un entretien avec le réalisateur Alain Cavalier, un point sur l’extrême droite israélienne... En enfin : un appel à soutien où l’on fait la lumière sur les comptes du journal et les mirifiques salaires de ses rares employés rémunérés…

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