Rattrapés par le karma, les Bleus sont éliminés au premier tour.
Sur place, cependant, les joueurs français menacent de faire grève. Une soudaine découverte de la décence ? Que dalle : s’ils recouvrent les trois bandes blanches de leurs chaussures de cirage noir, c’est parce qu’ils estiment que leur sponsor Adidas les blouse sur les primes…
Rattrapés par le karma, les Bleus sont éliminés au premier tour. Alors que certaines équipes ont eu au moins le mérite – tout relatif – de gestes symboliques, comme les Suédois rendant visite aux Mères de la place de Mai ou les finalistes néerlandais refusant d’aller chercher leurs médailles [1], côté France c’est le grand vide. Plus tard, Rocheteau exprimera le regret « que [leur] silence ait été perçu comme de l’indifférence ». Dans le mille, champion. Heureusement, d’autres ont sauvé l’honneur.
[|Coba dis donc|]
« À Marseille, on n’était pas beaucoup dans le comité Coba local, une grosse centaine. Et à notre première manifestation, on a tous été arrêtés et placés en garde à vue. Par contre, à Paris, ils étaient beaucoup. C’était la grande époque des autonomes et les manifs étaient chaudes, avec des milliers d’énervés… » Briscard volubile, l’ami qui déroule ce récit a vécu de Marseille la tentative de perturber la Coupe du monde en Argentine. Pour structure, le Coba (Comité pour le boycott de l’organisation par l’Argentine de la Coupe du monde de football), créé en juin 1977 par des militants français et argentins. Il s’agit alors de dénoncer non seulement le régime de Videla et la caution que l’événement lui apporte, mais également les liens étroits que l’État français entretient avec les tortionnaires argentins, notamment par le biais de ventes d’armes [2].
Au gré d’assemblées générales hebdomadaires libres d’accès, de nombreuses actions sont lancées. Il y a notamment la publication de plusieurs numéros d’un journal intitulé L’Épique, le lancement d’une pétition qui recueille 150 000 signatures ou l’édition de brochures comme le Dossier noir des ventes d’armes françaises à l’Argentine. Et puis des manifs plus ou moins agitées, dont celle du 31 mai 1978, à la veille du Mondial : ils sont 8 000 dans les rues de Paris à défiler aux cris de « Videla assassin, Giscard d’Estaing complice », tandis qu’à Dijon, ça tourne carrément à l’émeute : « Mobylette d’un gardien de la paix piétinée, képi brûlé, feux allumés sur la place Darcy, vitrines taguées ou brisées, pillage, agence du Crédit agricole incendiée, jets de cocktails Molotov sur les forces de l’ordre... », détaille un article du Bien public [3].
Un printemps agité, donc. D’autant plus que, pour certains, il faut monter d’un cran.
[|Hidalgo go go|]
Dans Comme un chat – Souvenirs turbulents d’un anarchiste [4], le militant Floréal Cuadrado raconte un épisode très pieds-nickelesque : la tentative d’enlèvement par quelques énervés de celui qui était alors sélectionneur de l’équipe de branques, Michel Hidalgo. Une opération dont Cuadrado assure une partie de la logistique et qui a deux objectifs. Primo, fédérer autour de la lutte, via une opération menée en douceur, afin de « concilier la sympathie de tous ceux qui n’avaient pas cyniquement renoncé à l’esprit de Mai et des luttes passées ». Secundo, échanger l’otage contre des prisonniers politiques en Argentine, plus de 2 000 selon leurs comptes. Ambitieux…
Lancée le 23 mai 1978, l’opération est un fiasco. Hidalgo savate dans les cojones l’homme qui le tient en joue sur une route de campagne avec un pistolet sans munitions, avant de s’enfuir. Paie ton action d’éclat. Reste que Cuadrado évoque aussi dans son bouquin un détail croustillant : la première cible envisagée, finalement abandonnée pour des raisons logistiques, c’était… Michel Platini, l’anti-boycotteur en chef, qui sera bien plus tard impliqué dans l’attribution de la Coupe du monde au Qatar [5]. Rien que pour l’idée, ça valait le coup.
[/Émilien Bernard/]
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