Coup de pompe

MARDI 23 FÉVRIER, je suis à La Défense1, avec quelques camarades (c’est comme ça qu’on dit). J’y suis en tant qu’« élu des travailleurs » chez Total, pour un Comité central d’entreprise (CCE) extraordinaire concernant la cession du site de Mazingarbe (près de Lens). Cela se fera avec soixante-quinze suppressions d’emplois. A priori des préretraites, mais sans doute pas uniquement. On est au début des réunions et c’est parti pour six mois au minimum. Il s’agit de réunions pour la forme, où on obtiendra quelques menus aménagements. Il y aura peut-être des réactions des copains, grèves et autres, mais pour l’instant c’est plutôt

par Efix

calme. D’autant que, vu l’état des ateliers et les manques d’investissements, c’est déjà dans la tête des salariés que le site est en danger. Total se désengage de ses canards boiteux et de ses filiales (Hutchinson, GPN, dépôts de carburants) pour se concentrer sur l’exploitation directe du pétrole et surtout sur ses immenses unités de production, construites dernièrement, au Qatar, en Arabie Saoudite et en Indonésie. Une restructuration de plus, donc : à titre personnel, depuis le temps que je suis dans la boîte, ça fait un paquet de copains qui ont disparu ainsi de mon univers. En sortant, au pied de la tour Total, on croise la délégation CGT-SUD des raffineries. Ils sont aussi en pourparlers avec la direction suite à l’annonce de la fermeture de la raffinerie des Flandres, à Dunkerque.La pression sur Total est forte:les salariés des six raffineries sont en grève et ont arrêté la production, la presse a rapidement parlé de pénurie d’essence, les automobilistes ont fait la queue. Près de 200 stations-service fermées, la panique vient vite.

Dans la délégation, il y a Charly, une grande gueule de la CGT, un mec de SUD et trois autres de la CGT que j’ai souvent vus dans des manifs ou réunions. Ils ont l’air crevé, comme on peut l’être après plusieurs jours de bagarre et de négociations. « On a obtenu de belles avancées. Maintenant c’est fini, dit Charly. Pour nous,et si les assemblées générales de grévistes le décident, on peut arrêter le mouvement. – Et c’est quoi, ces avancées ? – Hé bien, justement, l’avancement du CCE au 8 mars ; deux tables rondes, l’une sur l’emploi dans la région de Dunkerque, l’autre avec le ministère de l’Industrie sur l’avenir du raffinage et ses enjeux en France ;ainsi que la promesse de Total de ne pas fermer d’autres raffineries dans les cinq ans à venir. »

Nous sommes plutôt déconcertés devant ces pseudo avancées : des « tables rondes » qui ne servent à rien, si ce n’est à endormir tout le monde, et des promesses qui n’engagent que ceux qui veulent bien y croire. Et rien pour la raffinerie des Flandres (majoritairement SUD, elle n’est sans doute pas une priorité pour la CGT).

Lorsqu’on quitte ces syndicalistes, on est dégoûtés : raffineries Total en grève depuis une semaine, raffinerie des Flandres occupée, préavis de grève dans celles d’Exxon et de Pétroplus pour le lendemain, pénurie de carburant…, il y avait une carte à jouer. On a comme un goût d’inachevé. Les raffineries sont un des derniers secteurs stratégiques et quand il est en grève,ça peut encore peser. Et rien. Comme si les copains calaient devant l’obstacle. La CFDT Total avait appelé à reprendre le travail la veille et peut-être y avait-il un flottement chez les grévistes,mais on s’attendait à mieux de la part d’une CGT qui se veut combative et opposée à la politique de Bernard Thibault. Le lendemain, les grévistes ont repris le travail, sauf à Dunkerque où l’occupation continue. Je sais que ça continue à discuter ferme au sein de la CGT Total et que tout le monde n’est pas d’accord avec ces prises de position, n’empêche que le mal est fait. Une nouvelle grosse manifestation est organisée à La Défense, le 8 mars2. Délais de bouclage obligent, je ne sais pas ce que ça va donner. Au mois de janvier, ils étaient un millier à défiler et à investir la tour de Total, mais là…


1 Pour connaître mon sentiment sur ce quartier et sur les cadres dirigeants qui y règnent, lisez mon nouveau bouquin : Tue ton patron (éd. Libertalia). NDLR : Camarade Jean-Pierre, les (auto)copinages éhontés, statutairement, c’est dans l’agenda de page 2 !

2 Pendant que, ce jour là, la direction de Total annonçait depuis son siège de la Défense la fermeture du site de Dunkerque,deux à trois cents manifestants pénétraient dans le hall du bâtiment avant d’être gazés et matraqués par les forces de l’ordre.

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Paru dans CQFD n°76 (mars 2010)
Dans la rubrique Je vous écris de l’usine

Par Jean-Pierre Levaray
Illustré par Efix

Mis en ligne le 02.05.2010