Correspondant local : un vrai métier
L’article paru dans Sud-Ouest, ce 5 juillet 2010, avait pour titre : « Le cirque qui fait scandale à Lescar ». Rendant compte d’une représentation de la compagnie de nouveau cirque Mauvais Esprit, Cécile van Espen, auteur du papier, déclinait la soirée sur un mode tour à tour funèbre, pornographique et gore. Gore, puisque le dernier artiste, en plein exercice de style autour du mythe du Minotaure, aurait « mené le spectateur non averti dans un guet-apens empreint de sang, de viscères d’animaux, poussant l’extrême jusqu’à tenter de jongler avec des cœurs de mammifères, et à en jeter un dans le public ou à s’enduire le corps de sang. » Et le maire de Lescar, Christian Laine (PS), de crier son indignation : « Nous tenions les Mauvais Esprits à bout de bras. C’est fini ! Je ne peux pas proposer à mes collègues un contrat piège. Hier soir, nous avons été pris en otages ! » Le sort de la compagnie Mauvais Esprit était scellé : adieu terrain et subventions.
Alix Bouyssié, directeur artistique de la troupe, raconte : « Cela fait 15 ans que l’on est implantés à Lescar. Avec l’ancienne mairie, on avait réussi à avoir un terrain aménagé et des subventions. Puis, ça s’est gâté. Un jour, le maire de l’époque nous sort : “Je ne vais pas développer un fief de gauche.” Sentant le vent tourner, on est allés voir justement du côté de l’opposition socialiste. Et là tout se passe bien. En 2007, Laine est élu. Il vient fêter sa victoire sous notre chapiteau. On nous promet un terrain à côté de la nouvelle autoroute, à côté d’Emmaüs. » Sauf que l’idylle va rapidement tourner court. Respectant l’adage selon lequel les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent, l’édile coupe le robinet des subventions en 2008. Cependant il ne s’agit pas là d’un complet retournement de veste : à l’avenir la compagnie sera soutenue par la communauté d’agglo. Seulement, pour que le transfert soit effectif, la commune de Lescar doit quand même mettre la main à la poche et filer 20 000 euros au pot commun. Décembre 2009, contexte économique oblige, Laine annonce qu’il ne peut pas débloquer le pognon. Chez les Mauvais Esprits, cette décision fait l’effet d’une douche froide.
Vendredi 2 juillet 2010, ultime représentation de la compagnie, laquelle est donc passée au vitriol par la pisse-copie de Sud-Ouest. Commentaire d’Alix : « L’article parle de musique funèbre alors que c’était les Pink Floyd. On nous a reproché que la seconde partie était pornographique, mais le seul truc porno, c’est l’artiste jouant avec un bilboquet ! La dernière partie sur le Minotaure était plus dure mais j’avais prévenu le public. Le gars jonglait avec des cœurs d’animaux. Mais le sang qu’il s’est versé dessus était du sang synthétique et jamais des viscères n’ont été envoyés sur le public. C’était juste une chaussure. En outre, à la sortie, les gens étaient plutôt enjoués. » En clair, on est en présence d’un article visant « à massacrer leur réputation ».
Si, par désœuvrement, on s’amuse à décortiquer le CV de Mademoiselle van Espen, on apprend très vite que cette dernière a longuement officié à la mairie de Lescar en tant qu’animatrice du patrimoine. Devenue correspondante locale pour le journal Sud-Ouest, elle aurait fait passer son article dans des conditions assez cavalières. Une journaliste de Sud-Ouest ayant tenu à garder l’anonymat témoigne : « Elle a fait passer son papier un dimanche alors que seul le rédacteur en chef était présent. J’aurais été présente, je m’y serais opposée. » Sauf que bien évidemment, la question de la publication d’un démenti ne s’est jamais posée, au risque de remettre en cause la crédibilité du journal.
Pour la petite troupe, la mairie avait juste besoin d’un argument massue pour se libérer de tout engagement avec les Mauvais Esprits. Rien de plus efficace qu’une campagne de dénigrement. Depuis, le conseil municipal de Lescar a voté la vente de la parcelle promise aux Mauvais Esprits au très friqué Emmaüs Pau-Lescar1. Et comme un fait exprès, la décidément multicarte van Espen est aussi chargée de com’ chez Emmaüs… Entre-temps l’affaire a ému jusqu’au ministère de la Culture. Le 9 novembre, le délégué au théâtre a réuni l’agglo, la ville de Billère (prête à accueillir la compagnie), le conseil général, le conseil régional et la DRAC Aquitaine pour exprimer « son indignation par rapport à la censure d’une compagnie et de ses choix artistiques ». Quelques pistes de financement ont été envisagées. Mais les Mauvais Esprits attendent de voir pour croire. À trop avoir été pris pour des clowns, ils sont devenus méfiants.
1 La République des Pyrénées, 19 novembre 2010.
Cet article a été publié dans
CQFD n°84 (décembre 2010)
Trouver un point de venteJe veux m'abonner
Faire un don
Paru dans CQFD n°84 (décembre 2010)
Dans la rubrique Médias
Par
Mis en ligne le 07.01.2011
Dans CQFD n°84 (décembre 2010)
Derniers articles de Sébastien Navarro
9 janvier 2011, 19:38, par cristal64
Suis de Billère, la commune voisine de Lescar... et je peux vous assurer que la municipalité de Billère fait tout ce qu’elle peut pour obtenir de l’agglo le soutien nécessaire à la compagnie Mauvais Esprits. Le maire (nouveau depuis 2008) est en recherche d’un terrain pour le chapiteau et leur a attribué une boite aux lettres et une adresse pour le siège social dans la toute nouvelle maison de quartier, maison des associations. Des voisins et amis ont leurs deux enfants inscrits à cette école du cirque (les mauvais esprits) et nous suivons ce sujet attentivement. Merci à CQFD d’en avoir parlé "autrement" que tout ce qu’on a pu lire ici dans la PQR !