Ces révoltés qui nous gouvernent

Les victimes chiliennes du séisme du Pacifique Sud ne savent pas la chance qu’elles ont. France Inter leur aura tendu un micro compatissant. Après la secousse, une habitante des beaux quartiers de Concepción cria son angoisse à l’antenne : « Que le gouvernement envoie des policiers pour nous protéger des pillards ! » Toujours par téléphone, la radio publique permit à un pauvre des quartiers périphériques de s’énerver tout en se justifiant : « L’État n’a rien fait ! Nous sommes obligés de voler pour manger. »

La possibilité d’exprimer leur malheur, ces sinistrés de l’autre bout du monde ont bien fait de la savourer. Parce que dans le sujet suivant, les victimes charentaises du coup de mer nommé Xinthia n’ont pas eu cette liberté. On imagine pourtant que parmi elles plus d’une aurait aimé pouvoir déplorer l’imprévision gouvernementale, le mauvais état des digues, l’urbanisation de terres inondables… Mais comme on vit ici dans une démocratie vernaculaire, c’est Monsieur le Président qui exprima les sentiments du bon peuple : « Comment en France des familles peuvent mourir noyées dans leur maison ? », se scandalisa-t-il en direct, prenant les devants sur les critiques. Le lendemain, il remettait le couvert : « Nous avons besoin de protéger les terres agricoles, parce que c’est l’équivalent d’un département qui disparaît par an » (là, c’était à propos du monde paysan qui sombre). « La France doit garder ses usines ! », surenchérissait- il le surlendemain à Marignane. Depuis quelques mois, cet individu nous a habitués à d’énergiques gesticulations face aux injustices d’un système dont il est l’un des gérants les plus zélés. Comme lors de sa « rencontre » avec des Français panélisés par TF1, où la colère changea soudain de camp : le plus chagriné, le plus indigné par les excès du capitalisme, c’était lui.

La recette n’est pas toute neuve. Déjà en 2007, bien qu’il ait été aux affaires depuis des lustres, ce petit commis d’État en campagne s’était présenté comme le candidat de « la rupture ». Technique marketing sans doute inspirée de certains philosophes de plateaux télé qui aiment à prendre la pose de l’intellectuel engagé,victime d’un sournois ostracisme médiatique – à tel point qu’on ne voit qu’eux sur toutes les chaînes. Et elle inspire aujourd’hui la brochette de stars du journalisme télé qu’on a vues récemment sur Arte pousser un cri d’alarme contre les bassesses de l’info-spectacle1 – comme si elles n’y étaient pour rien.

Aujourd’hui, le discours apparaît usé jusqu’à la corde et le roi est à oilpé. Même le renversement orwellien du sens des mots a fait son temps. Un autre tour d’écrou est nécessaire. Alors qu’il milite d’arrache-pied pour imposer la loi du plus fort, le pouvoir mime l’impuissance et singe la rébellion. « Cet état des choses est inadmissible. C’est tellement vrai que même moi qui vous l’impose, j’ai du mal à l’admettre », semblent dire les écorchés vifs qui nous gouvernent, contribuant encore un peu plus à l’inflation du non-sens postmoderne. Reste la triste mise en scène d’une bouffonnerie sidérale, quasiment berlusconienne. Comme s’ils n’y étaient pour rien. Comme s’ils étaient aussi désarmés que le spectateur lambda. Comme si le pouvoir réel était ailleurs – ce qui est en partie vrai. Seulement voilà, il ne faut pas non plus nous prendre pour des truffes : le Fouquet’s n’est pas sur la planète Mars.

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