On entre à la Maison du Vallon par la porte d’un ancien ouvroir aux murs tagués. Une fois franchi le seuil, on découvre une jolie cour agrémentée d’arbres, de plantes, et au fond un bâtiment d’un étage. En plein centre de Marseille, la Maison du Vallon est l’un de ces trop rares endroits dédiés aux minots (de 0 à 4 ans) et à leurs parents, ou accompagnants. Elle a vu le jour en 1986 et revendique sa filiation avec la Maison Verte parisienne, ouverte sept ans plus tôt. Pensée et créée par Françoise Dolto et d’autres psychanalystes, la Maison Verte est un lieu d’accueil et d’écoute pour la petite enfance qui va rapidement être imité dans les grandes agglomérations en France (Strasbourg, Lyon, Aix-en-Provence, etc.) et à l’étranger (Espagne, Suisse, Belgique, etc.).
Chaque fois que l’on passe la porte du bâtiment, la même scène se rejoue. Un accueillant arrive : « Bonjour, comment t’appelles-tu ? », le regard tourné vers l’enfant. « Et quel âge as-tu ? »… Chaque fois, le prénom et l’âge de l’enfant sont inscrits, à la craie, sur le tableau. Outre l’inscription symbolique, il est surtout question, comme nous l’expliquent Maryvonne et Nadia, deux accueillantes de la Maison du Vallon, « de considérer l’enfant comme un être à part entière, comme un sujet ». C’est d’ailleurs la seule inscription existante dans cet espace. L’anonymat y est de rigueur, seul le prénom de l’enfant est demandé et aucune autre information ne passera les murs : « Le principe d’anonymat est une question d’éthique, poursuivent-elles, pour ne pas inscrire l’enfant dans le suivi social. » Et ainsi permettre à chacun de se sentir libre de venir : « Ici, les personnes viennent et repartent quant elles veulent. Elles peuvent parler avec des mères, des pères… ou des accueillants, sans qu’il n’y ait pour autant aucune obligation de le faire. »
Une fois les enfants partis dans leur monde, les accueillants se font discrets mais disponibles. « Ils se fondent assez bien, au milieu des parents présents, remarque Sophie, habituée du lieu. Quand on est pris dans la discussion avec d’autres parents, on les oublie presque. » Car le patronage de Dolto implique nécessairement une certaine vision du lieu, « une incarnation de la psychanalyse dans la cité », selon Nadia. Pour Maryvonne, la question est de « déployer autrement le nouage de la relation enfants-parents ; on ne vient pas ici parce qu’il y a un symptôme, mais simplement pour l’écoute. On est là pour accompagner dans la séparation, dans le lien à l’autre, et finalement, dans la société. »
La Maison du Vallon voit défiler chaque année 2 500 petits, et il n’est pas rare d’y entendre plusieurs langues, en toute cohérence avec la diversité marseillaise. Règle numéro 1 ici : ne pas franchir la ligne jaune tracée au sol, séparant l’espace des bébés (un grand tapis rond) du reste de la pièce. Aucun véhicule, poussette, camion, tricycle ne doit passer ! Imaginez un bambin qui, du haut de son camion à pédales, fonce droit sur le tapis où gazouille un bébé de trois mois… ! Évidemment, il est aussi question de séparation symbolique et d’accompagnement à la vie sociale. Dans un monde d’adultes pressés qui accueillent difficilement le rythme des enfants, la Maison du Vallon est une structure précieuse et privilégiée. Lorsque, par choix ou par nécessité, on consacre une grande partie de son temps à s’occuper des enfants, on se retrouve vite à l’écart, isolé. « Quand j’ai découvert ce lieu, nous raconte Sophie, j’ai été très impressionnée. Il m’a paru unique dans ce qu’il proposait. Non pas en termes d’activités, mais de possibilités d’échanges, de façons d’y être et de se servir du lieu. Très peu d’indications sont données en arrivant, donc chacun peut se l’approprier selon ce qu’il cherche : un espace pour passer du temps avec son enfant, pour jouer avec lui. Pour qu’il rencontre d’autres enfants. Un espace pour soi, pour sortir du foyer, pour voir d’autres enfants et prendre du recul sur le sien. C’est un moment où l’énergie de son enfant est canalisée par les autres petits, et où l’on peut alors partager avec les gens présents, tranquillement, se livrer, se dé-livrer même parfois. » Ni crèche, ni PMI (Protection maternelle infantile), de telles structures sont d’une importance considérable pour les enfants, et les adultes qui en prennent soin.
C’est au 13, rue de Lodi, à Notre-Dame-du-Mont qu’il est installé depuis maintenant 25 ans, dans des locaux détenus par le CCAS. Mais peut-être plus pour longtemps : les propriétaires annoncent la vente de leur patrimoine privé. La Maison du Vallon, cette petite bâtisse et sa cour ombragée sont sur la touche. On imagine la juteuse opération immobilière que se paye le CCAS… sur le dos des minots, et de leurs parents. C’est un marchand de biens qui rachète, avec rénovation et remise sur le marché pour projet. La belle affaire. Et sans aucune concertation avec les premiers concernés. Un comité de soutien a été créé par des parents, pour accompagner les 15 accueillants dans leur lutte pour continuer d’exister [1]. Leur exigence : soit se voir offrir un relogement dans un lieu adapté, soit obtenir les finances nécessaires pour retrouver un tel lieu sur le marché privé. Pour le moment, aucune proposition satisfaisante n’a été apportée.
Plus préoccupé par l’assainissement de son budget que par les minots marseillais, le CCAS n’entend rien. À croire que Gaudin, maire de Marseille – et président du CCAS ! –, n’aurait pas assez fréquenté de Maison Verte pour régler son problème avec la « séparation ». Cette ligne jaune qui sépare la question économique de la question politique.