Ce jeudi 1er juillet, une trentaine de personnes sont réunies dans la salle du Patronage laïque Guérin, dans le quartier de Saint-Martin, au centre-ville de Brest. La poignée de riverains à l’initiative de la soirée vient d’apprendre qu’un nouveau projet immobilier devrait radicalement changer le visage d’un pan du quartier. Bouygues Immobilier prévoit de bâtir une onéreuse « résidence senior » à la place de l’actuel Ehpad (Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes). La majeure partie des 2 300 m2 de son jardin est amenée à disparaître. Pour les participants à la réunion, le projet est inquiétant à double titre : un espace vert doit être bétonné dans une ville déjà très minérale, tout en reléguant les anciens les plus modestes vers la périphérie. Ils demandent également que le jardin devienne un « bien commun ».
Le fringant directeur de l’agence Bouygues Immobilier qui porte le projet a fait le déplacement pour défendre son gagne-pain. S’il admet que sa boîte a « beaucoup de progrès à faire » en termes d’impacts environnementaux, il se dit prêt à concéder une parcelle de terrain pour un jardin partagé. Peine perdue : la réunion aboutit à la création d’un collectif, dernier né de la contestation des projets urbains dans la métropole brestoise.
[|Verdissement municipal|]
Une ancienne conseillère municipale, militante EELV (Europe Écologie-Les Verts), est également présente à la réunion. Elle se contente de pinailler au sujet des matériaux de construction. Son parti a pourtant gagné en poids ces dernières années en portant un discours de rupture écologique avec les mandats précédents. Alliés de longue date au PS (Parti socialiste), les Verts ont en effet tenté de voler de leurs propres ailes lors des élections municipales du printemps 2020. Après une campagne plutôt rugueuse, ils arrivent finalement en troisième position au premier tour. François Cuillandre, maire socialiste et président de la Métropole, conserve son siège. EELV retourne dans le giron de la majorité, non sans avoir obtenu quelques postes clés. L’implantation des écologistes se confirme lors des élections départementales suivantes, en juin dernier. Cette fois, un binôme EELV - Nouvelle Donne arrache le canton Brest-Centre au PS. Mais cette position nouvellement acquise par les Verts n’annonce pas pour autant de changements majeurs dans les politiques locales, notamment en matière d’urbanisme.
[|Densification, gentrification, artificialisation|]
Jouant le jeu libéral de la concurrence entre les territoires, les édiles brestois s’échinent depuis plusieurs mandats à transformer l’image, la morphologie et la sociologie d’une ville restée ouvrière. Non sans obtenir quelques résultats : le prix du mètre carré augmente de 6 % par an [1], tandis qu’entre 2020 et 2021, les loyers ont bondi de près de 8 % [2]. Et les projets immobiliers pharaoniques se multiplient. Les élus les présentent comme nécessaires pour densifier le tissu urbain. Mais l’objectif est également de modifier la composition sociale des quartiers visés.
Alors que le secteur nourrit un sentiment d’insécurité dont la presse et la droite locale se régalent, sa restructuration doit donc permettre d’éloigner une population jugée indésirable.
Un exemple parmi d’autres, le haut de la rue Jean-Jaurès, artère centrale et commerçante de la ville, aujourd’hui asséchée par les zones commerciales périphériques. Le sentiment de déclin ressenti par certains riverains constitue une opportunité pour raser plusieurs immeubles anciens. Des logements neufs doivent, selon la municipalité, encourager le retour « de familles ». Alors que le secteur nourrit un sentiment d’insécurité dont la presse et la droite locale se régalent, sa restructuration doit donc permettre d’éloigner une population jugée indésirable [3].
Non loin de là, l’emblématique salle de sport Marcel-Cerdan doit laisser place à un nouvel ensemble immobilier. Annoncé comme un modèle de « mixité sociale » et « d’excellence » écologique, le projet est appuyé par un discours de lutte contre l’étalement urbain [4]. Pour autant, pas de quoi annoncer une politique volontariste visant à freiner le processus. Quartiers pavillonnaires et zones commerciales continuent de grignoter la campagne alentour, dans une région qui détient la troisième place en termes de taux d’artificialisation des sols [5]. C’est ainsi qu’au cours du mandat précédent, la ferme bio de Traon Bihan, implantée sur la commune de Brest, a été amputée d’une partie de ses terres au profit d’un quartier certifié développement durable.
Alors qu’un ersatz de ville envahit la campagne, les citadins pourront bientôt profiter du spectacle de l’agriculture du futur. Plusieurs projets de « fermes urbaines » sont en cours. Dans le cadre de la restructuration de la cité de Kerbernier, une barre démolie devra laisser place à une « serre bioclimatique et verticale [6] ». L’urbanisme brutal se veut désormais écofuturiste.
La majorité entend également développer les « mobilités douces », mais certainement pas pour rompre avec la civilisation de la bagnole. Il s’agit plutôt de façonner la ville aux goûts supposés des classes sup’. C’est ainsi qu’une partie des rues autour de la turbulente place Guérin, bastion populaire et militant du quartier de Saint-Martin, ont été piétonnisées. Pour Yohann Nédélec, adjoint au centre-ville, le but est de « permettre aux familles de s’approprier l’espace et d’en faire un lieu plus convivial [7] ». Sous-titre : précaires et zonards sont priés d’aller voir ailleurs. Plutôt que de mettre en œuvre de véritables politiques en faveur de l’environnement, il s’agit donc de changer l’image de la ville dans un souci d’ » attractivité territoriale ».
[|Contester la ville telle qu’elle se fait|]
Heureusement, le collectif opposé à la résidence Bouygues est loin d’être isolé. Lutte pour une salle de quartier place Guérin ou contre la construction d’immeubles à proximité du Jardin botanique de Brest, les collectifs se multiplient ces dernières années pour contester l’aménagement tel qu’il se mène.
Lors de la réunion du 1er juillet, un « amoureux de la rade de Brest », qui lutte contre la privatisation d’une friche sur la commune voisine du Relecq-Kerhuon, est venu partager son expérience. Le site, à deux pas du rivage, doit accueillir un ensemble d’immeubles et de commerces cossus. Ses opposants dénoncent un projet qui « revient à réserver à quelques privilégiés un bien commun qui appartient à ce jour à Brest Métropole Aménagement [8]. Il faut stopper le bétonnage du littoral. Préserver nos bords de mer et un cadre de vie agréable, accessible à tous, et non pas réservé à quelques privilégiés [9]. »
Un autre participant à la soirée a évoqué la mobilisation pour la sauvegarde de la vallée du Restic, menacée par un projet de contournement routier. Cette lutte historique débute fin 2008, avec le lancement d’une enquête publique portant sur un contournement routier de Brest par le nord-ouest. Selon l’option retenue, 13 hectares de bois et de prairies et un ruisseau doivent être engloutis sous le bitume. Après une dizaine d’années de mobilisation du collectif de défense de la vallée, Brest Métropole doit faire machine arrière suite à une décision du Conseil d’État [10]. Il en aurait fallu plus : exit la « mobilité douce », la Métropole relance aujourd’hui le projet [11].
Loin du « renouveau sur le fond et dans les méthodes [12] » promis par EELV lors de sa campagne, les Verts semblent ici davantage adeptes d’une écologie anecdotique contribuant au verdissement de la gentrification en cours. Mais les collectifs d’habitants veillent. Ce 1er juillet, la réunion au Patronage laïque Guérin s’achève sur un espoir : lutter ensemble pour un véritable droit à la ville, dans lequel la diversité du vivant aurait toute sa place. Comme le résume un graffiti aperçu dans le centre : « Moins de bourgeois, plus de bourgeons ! »
[/Damien Le Bruchec/]