Ce soir de février, pas moins de 140 personnes sont venues échanger avec les cibles de l’arbitraire préfectoral, soutenues par le Mouvement associatif de Bretagne et la Ligue de l’enseignement. Et le front de la résistance pourrait bien s’étendre, face à ce qui a tout d’une tentative de mise au pas de la vie associative et militante locale.
[|Pétition vs Subvention|]
Tandis que quelques rayons de soleil daignent percer les nuages, des petits font du roller devant les locaux du PL Guérin, précieux héritage du mouvement ouvrier brestois. Yann, animateur à la vie associative et locale, nous accueille. Il raconte : « Tous les ans, on dépose une demande de FDVA au mois de mars. Cette année, cette aide devait financer une fresque réalisée dans le cadre des 90 ans du PL Guérin. En avril, on reçoit un courrier du sous-préfet nous alertant sur le comportement d’un collègue, en dehors de son temps de travail, et nous demandant de prendre des “mesures”. » En clair, licencier sans base légale Simon, un animateur bien connu place Guérin. Investi dans la vie du quartier, et notamment au sein du collectif de l’Avenir, il est accusé de « troubles à l’ordre public [3] ». Sur quelles bases ? Le mystère reste entier.
Pendant ce temps, la demande d’une subvention de 2000 euros poursuit son chemin. « Comme les avis sont favorables, on lance l’action », explique Yann. Mais l’automne arrive et les sous ne sont toujours pas là. « On sollicite donc l’Académie de Rennes, qui finit par nous répondre qu’on n’a pas obtenu la subvention sur décision de la sous-préfecture… » Si préfets et sous-préfets suivent généralement les avis des commissions chargées d’évaluer les dossiers, ils peuvent également les ignorer sans autre forme de justification. Et l’affaire ne s’arrête pas là.
Ékoumène, basé aux Quatre-Moulins, a également sollicité, sans réponse, le FDVA pour contribuer au fonctionnement d’un local ouvert aux habitants du quartier. Renseignement pris par l’asso, le couperet viendrait cette fois directement du préfet du Finistère. « C’est parce qu’on a signé un texte de soutien à l’Avenir », pense Chris, l’un de ses membres. La pétition en question a été signée par une quinzaine d’associations. Mais pas Radio U, également privée cette année de FDVA. Le média est accusé par le sous-préfet d’appuyer un collectif commettant « des actions illégales », comme l’explique Antoine, l’un de ses salariés. Seule piste d’explication à ce jour, l’invitation de membres de l’Avenir lors d’une émission consacrée à l’écologie…
[|Contrat d’engagement républicain, un dispositif scélérat|]
Les choses sont plus claires pour Canal Ti Zef, association brestoise historique organisatrice du fameux Festival intergalactique de l’image alternative. Elle est la seule pour laquelle le scélérat contrat d’engagement républicain (CER) a été invoqué. Le CER, c’est ce dispositif issu de la « loi séparatisme » qui permet de couper les aides publiques attribuées à des associations suspectées de déroger aux « principes républicains ». Symbole d’un pouvoir qui tolère de moins en moins les voix dissidentes, il a déjà fait parler de lui en septembre 2022, lorsque le préfet de la Vienne a voulu obliger la mairie de Poitiers à sucrer les subventions d’Alernatiba, asso écolo accusée d’organiser des ateliers de désobéissance civile [4]. Le CER comprend sept principes particulièrement vagues, allant du respect « des lois de la République » à celui de « la dignité de la personne humaine ».
« Sur toute la Bretagne, les quatre seules associations qui n’ont pas eu le FDVA sont de Brest, et toutes sont reliées à l’Avenir ! »
Lequel de ces principes Canal Ti Zef a pu enfreindre ? Difficile à dire, le sous-préfet de Brest Jean-Philippe Setbon s’étant contenté de pointer dans un courrier « certains aspects du fonctionnement de [l’] association […] incompatibles avec le Contrat d’engagement républicain ». Pour Joëlle et Vincent, membres de l’asso rencontrés dans un bistrot de la place Guérin, c’est l’organisation de plusieurs projections à l’Avenir qui serait en cause. « Sur toute la Bretagne, les quatre seules associations qui n’ont pas eu le FDVA sont de Brest, et toutes sont reliées à l’Avenir ! » constate Joëlle. Il s’agirait là d’une « violation de la liberté d’expression », selon l’avocat de Ti Zef, qui a saisi le tribunal administratif de Rennes. Une affaire à suivre qui fait d’ores et déjà « du reuz (du bruit) dans les couloirs ! », se marre Vincent.
[|Coups de pression en coulisses|]
Le préfet et le sous-préfet ne sont pas les seuls responsables de ce tour de vis répressif. Après la démolition de l’Avenir, un rendez-vous est organisé en octobre entre le bureau du PL Guérin et François Cuillandre, maire de Brest et président de métropole, accompagné d’élus et de son cabinet. Le cas de Simon, l’animateur jugé trop turbulent par le sous-préfet, revient sur le tapis. L’édile aurait évoqué la possibilité d’un soutien financier de la collectivité en cas de litige consécutif au licenciement du salarié. « Ça nous a bien secoués », commente l’un des membres du bureau lors de la soirée du 23 février. « Que la pref’ fasse ça ne m’étonne pas, réagit Simon. Ce que je trouve ouf, c’est que ça soit la mairie qui se fasse le relai pour demander quelque chose d’illégal, au cours d’une rencontre officielle ! »
L’année dernière, c’est Keruscun sans frontières (KSF, pour les intimes) qui a été l’objet de menaces à peine voilées de la part de la municipalité. L’association organise un carnaval pour lequel elle sollicite une autorisation d’occupation du domaine public, ainsi que quelques moyens techniques. Les organisateurs avaient prévu de clore le défilé 2023 par un concert à l’Avenir. Un choix pas au goût de la ville. Dans un courrier, elle rappelle sèchement que l’évènement ne peut « se dérouler que dans des lieux ou équipements répondant à toutes les règles légales d’accueil du public ».
[|Répression tous azimuts et solidarités à construire|]
Après quelques débats internes, KSF choisit d’annuler sa soirée à l’Avenir. Ses membres, comme les autres personnes rencontrées, pointent aujourd’hui l’autocensure qui hante des militants associatifs aux abois. Au-delà de ces exemples, il est clair que les pouvoirs publics ciblent désormais toute forme d’organisation collective considérée comme trop remuante. Pour Yann, à Brest, cette répression « cible le mouvement social en général, pas seulement l’Avenir », comme en témoignent deux récentes interdictions de manifester [5]. De quoi dessiner de possibles convergences ?
« Le monde associatif et la gauche institutionnelle sont en décalage avec la gravité de ce qui se joue »
En ouverture de la soirée du 23 février, Gwenaëlle Fily, directrice du PL Guérin, a en tous cas tenu à « remercier le sous-préfet de Brest » pour avoir donné l’occasion aux associations concernées de se rencontrer. L’échange en a cependant frustré plus d’un, à commencer par Simon, préoccupé par l’embourgeoisement de son quartier comme par la dérive du pouvoir macronien : « C’est une réunion qui aurait dû avoir lieu y a 10 ans. Le monde associatif et la gauche institutionnelle sont en décalage avec la gravité de ce qui se joue ». Côté Canal Ti Zef, Vincent préfère positiver, en observant que les différentes composantes du mouvement social brestois étaient bien représentées dans les échanges : « C’est nouveau que le mouvement militant vienne voir ce que les assos ont à dire. » « On espère que la mayo prenne », complète Joëlle.
[/Par Damien Le Bruchec/]