Boulot : Cramés, les salariés !
C’était le 18 septembre 2014 sur le plateau de l’émission « Des paroles et des actes ». Le tartuffe François Bayrou (Modem) exhibe un bouquin fluet : « Ça c’est le Code du travail suisse. 4 % de chômage. Et ça… » Il laisse dédaigneusement tomber un pavé rouge sur la table. La salle rit. « C’est le Code du travail français ! » Applaudissements. Depuis le rapport Virville de 20041 , l’infâme Code du prolo est le bestiau à équarrir pour permettre – enfin ! – la création de myriades d’emplois. Le projet de loi sur la réforme du droit du travail soutenu par la ministre Myriam El Khomri poursuit le même filon. Rêvée par le Medef, la généralisation des accords d’entreprise où taulier et trimeurs pourront renégocier les termes des contrats de taf devient le nouvel horizon d’un salariat modulable à l’envi. Le Code du travail, notion d’ordre public censée protéger l’ensemble des travailleurs, s’émiette au profit de négociations asymétriques : avec 3,59 millions de pékins au chômedu, on imagine la marge de manœuvre des salariés.
En ouvrant la brèche à la semaine de 60 heures en cas de « circonstances exceptionnelles », en assouplissant les conditions de licenciement, en assimilant (celle-là est anecdotique mais délicieuse) temps d’astreinte à domicile à temps de repos, c’est à une « attaque à la bombe thermonucléaire contre l’ancien Code du travail2 » à laquelle nous assistons. Pendant ce temps, ceux qui ont une place au chagrin sont prêts à tout pour la garder quitte à y laisser leur santé mentale. L’épidémie de burn out continue de zombifier ses bosseurs les plus investis : en France, la fourchette oscille entre trente mille (selon la police patronale) et trois millions (selon la piétaille syndicale)3. Principaux signes du tableau clinique : « Une combinaison de fatigue physique, d’épuisement émotionnel et de lassitude cognitive » pouvant conduire jusqu’au suicide du salarié. En 2015 lors de l’examen du projet de loi sur le dialogue social, le Sénat – passé à droite – avait déjà exclu tout classement du burn out au chapitre des maladies professionnelles. Un an après, le néo-frondeur Benoît Hamon, député PS des Yvelines, revient à la charge à travers une nouvelle proposition de loi assortie d’une pétition au verbe tranchant : le travail « colonise la vie » et la souffrance au turbin contemporaine est comparée à « l’exploitation des femmes et des enfants » au XIX e siècle. « Aujourd’hui les pathologies issues d’un burn out sont prises en charge par l’assurance maladie. Si ces pathologies étaient reconnues comme maladies professionnelles, elles seraient prises en charge par la branche “Accident du Travail – Maladie professionnelle” financée à 97 % par les cotisations des employeurs. » Faire éponger la douloureuse des burn out par les embusqués du Medef, par besoin d’être fin politologue pour deviner que la mesure aura du mal à passer.
Le travail, torture de masse ? Dans la série d’anticipation Trepalium4, 20 % de la population s’accroche à son taf comme une névrose à son parano. Les 80 % d’improductifs sont parqués dans « la zone », de l’autre côté d’un mur étanche. Un instit’ relégué dans ce bantoustan parasitaire demande à ses élèves : « Est-ce que c’est vraiment obligatoire de travailler pour être quelqu’un ? » Oui, répondra en substance un bambin, puisque le travail rend libre.
1 Du nom du conseiller technique Michel de Virville missionné en 2003 par François Fillon pour « moderniser » le droit du travail français.
2 Selon Gérard Filoche, L’Humanité, 18 février 2016.
3 Le chiffre de trois millions a été établi en 2014 par le cabinet de prévention des risques professionnels Technologia.
4 Diffusée sur Arte les 11 et 18 février 2016.
Cet article a été publié dans
CQFD n°141 (mars 2016)
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Paru dans CQFD n°141 (mars 2016)
Dans la rubrique Actualités
Par
Illustré par Rémy Cattelain
Mis en ligne le 21.03.2018
Dans CQFD n°141 (mars 2016)
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