Les artistes-auteurs se rebiffent

Artistes au travail ? Artistes en grève

Depuis quelque temps, les artistes-auteurs – plasticiens, écrivains, traducteurs – descendent de leur tour d’ivoire et commencent à revendiquer le statut de travailleurs et à lutter contre la précarité. La leur comme celle des autres. Cette année, ils participent en nombre au mouvement social.
Par Arthur Plateau

Isolés par nature, souvent solitaires de caractère, les artistes-auteurs ne font généralement pas beaucoup plus de bruit que celui du clavier d’un ordi, ou du frottement d’un pinceau sur la toile. Du 19 au 23 mars dernier, l’occupation du musée des Beaux-Arts de Lyon a pourtant mis en lumière la mobilisation des travailleurs relevant de ce statut précaire et mal connu1. Car, sous les paillettes des vernissages et le papier glacé des couvertures, il a toujours semblé aller de soi que la culture reposait sur une part de travail gratuit : au contraire des autres professionnels du secteur, les créateurs ne sont pas forcément supposés vivre de leur travail. Le rapport Racine, commandé par le ministère de la Culture et publié en 2020, citait ainsi le chiffre de 36 % d’auteurs de bande dessinée sous le seuil de pauvreté. À l’initiative notamment de ces derniers, une partie des artistes-auteurs est en phase de réveil : structurés en collectifs (La Buse, le Massicot…) et en syndicats, actifs lors du mouvement retraites de 2019, ils rejoignent aujourd’hui le mouvement social. Un super petit texte de Julia Burtin Zortea, Aujourd’hui, on dit travailleur·ses de l’art (369 éditions, 2023), raconte ce cheminement.

Vivre décemment de son travail et jouir des mêmes droits sociaux que les autres travailleurs

Les revendications sont variées, mais peuvent se résumer ainsi : vivre décemment de son travail et jouir des mêmes droits sociaux que les autres travailleurs. Car, si le statut d’artiste-auteur garantit une couverture santé, l’obtention d’arrêts maladie relève du parcours du combattant. Côté retraites, c’est encore pire. En 2020, on s’avisa que près de 190 000 artistes-auteurs – ceux dont les revenus annuels étaient inférieurs à 900 fois le Smic horaire (soit environ 9 000 euros par an) – ne toucheraient… rien2. La pension des plus chanceux est le reflet du niveau de rémunération : 600 euros en moyenne. L’organisme gérant la retraite complémentaire obligatoire, l’Ircec, est quant à lui redouté pour ses méthodes d’extorsion, dignes du banditisme de grand chemin ; mobilisées, ses victimes s’efforcent actuellement de lui faire rendre gorge3.

« Rassembler sans se regarder le nombril »

En voie de radicalisation accélérée, un nombre croissant d’artistes-auteurs réclament aujourd’hui un revenu de remplacement, équivalant aux indemnités des intermittents du spectacle, permettant de survivre entre deux commandes. Ce combat est en particulier le cheval de bataille du Syndicat des travailleur·ses artistes-auteur·ices (Staa), créé en 2020 et affilié au syndicat anarchiste CNT-SO, qui s’inspire notamment des réflexions d’Aurélien Catin dans son petit ouvrage Notre condition – Essai sur le salaire au travail artistique (Riot éditions). Le Staa s’inscrit ainsi en faux contre les organisations professionnelles, corporatistes de tradition, qui tendent à réclamer pour les artistes-auteurs des aides spécifiques afin qu’ils puissent dégager le temps nécessaire pour créer. «  Nous voulons avoir droit au chômage, non pas parce que nous sommes des artistes mais parce que nous faisons partie d’une industrie », insiste la traductrice Marie Causse, co-fondatrice du Staa. Et d’une industrie où le fric ne manque pas, c’est le moins qu’on puisse dire.

Chez les artistes-auteurs, le mouvement contre la réforme des retraites rebat les cartes. En assemblée générale comme dans les manifs, « c’est sans doute une des premières fois que le monde de la culture rassemble des gens de toutes les disciplines sans se regarder le nombril  », observe Marie. Car, explique une des fondatrices de La Buse, citée dans l’ouvrage de Julia Burtin Zortea, «  si l’art est contemporain de quelque chose, c’est, entre autres, des Gilets jaunes et de la casse des retraites et de l’hôpital public  ». Tonton Marx aurait pu décrire la dynamique qui voit des artistes-auteurs en cours de prolétarisation se politiser et acquérir une conscience de classe dépassant les intérêts de leur seul secteur d’activités. Bienvenue dans la lutte finale, camarades !

Laurent Perez

1 Le statut d’artiste-auteur concerne les auteurs d’œuvres littéraires (y compris les traducteurs), plastiques, chorégraphiques, cinématographiques ou musicales. Qu’ils soient payés en droits d’auteur ou par la vente de leurs œuvres, ils jouissent de taux de cotisation réduits et de droits sociaux limités.

2 Lire « L’Agessa a amputé la retraite de dizaines de milliers d’auteurs », Le Monde (15/02/2020).

3 « Face aux dysfonctionnements de l’Ircec, une action collective », ActuaLitté (02/03/2023).

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Cet article a été publié dans

CQFD n°219 (avril 2023)

Depuis le passage en force du gouvernement sur la réforme des retraites, la France est en ébullition : blocages, grèves, manifs monstres et poubelles en feu ! Impossible de ne pas consacrer une très large part de notre numéro d’avril à cette révolte printanière. De Marseille à Dieppe, de Saint-Martin-de-Crau à Sainte-Soline, de la jeunesse en mouvement à la répression en roue libre, des travailleuses du sexe en lutte à l’histoire du sabotage... Reportages, analyses, entretiens. De quoi alimenter, on l’espère, la suite des mobilisations !
On vous emmène tout de même un peu hors de nos frontières (ou presque) : En Kanaky-Nouvelle-Calédonie, où la France poursuit sa démolition du processus de décolonisation, en Turquie où la solidarité populaire a pallié aux manques de l’État après les séismes début février et en Tunisie dans un musée particulier.

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