L’édito du n°219

« Désolé pour la démocratie »

On le sait bien : quand la députée Renaissance Aurore Bergé affirme au sujet des retraites que «  la démocratie a parlé », elle se moque du monde. Ce qui est légal n’est pas forcément légitime ni démocratique. Un pouvoir n’est légitime que si le peuple y consent.
Paris, le mardi 28 mars 2023 (photo : Serge d’Ignazio)

« À chaque fois qu’un parlementaire est menacé ou attaqué, l’institution dans son ensemble est atteinte et, avec elle, notre démocratie », déclarait la présidente de l’Assemblée Yaël Braun-Pivet suite aux « dégradations » essuyées par les permanences d’élus favorables à la réforme des retraites. Dans le même temps, Macron rassurait ses ministres : la « foule » ne serait pas légitime face au « peuple qui s’exprime à travers ses élus ». C’est pas très clair, Manu. Car beaucoup de ceux qui dégomment des vitrines de députés sont aussi allés voter en 2022, et certains pour toi, en se pinçant le nez1. Noble peuple le dimanche, vile populace le lundi, comment choisir ?

Par ce tour de passe-passe rhétorique, notre Génial Leader aimerait en fait faire oublier que toute démocratie n’est pas forcément représentative. Et pour cause : dès ses origines, le gouvernement représentatif a été pensé contre l’idée de gouvernement par le peuple. Pour les révolutionnaires bourgeois du XVIIIe siècle, les masses populaires n’étaient guère bonnes qu’à prendre la Bastille. Ceci étant fait, elles étaient priées de céder la place à une élite politique d’« honnêtes gens » raisonnables et bien élevés. C’est pour asseoir leur autorité que ceux-ci fondèrent le pouvoir sur l’élection. Présentée encore aujourd’hui comme le nec plus ultra de la participation politique, elle est en fait une procédure intrinsèquement aristocratique2. Le grand philosophe de la démocratie libérale, Tocqueville, le savait bien, qui emmenait les paysans de son village à travers champs jusqu’au bureau de vote, où ils lui offraient des scores dignes de la Roumanie de Ceauşescu. C’est ainsi que dans la France de la Ve République, l’élection ne sert qu’à départager une poignée de notables obéissant aux normes idéologiques.

Que l’élection soit un piège à cons, on le savait dès l’Athènes de Périclès, il y a 2 500 ans. Les responsabilités – tournantes et à durée limitée – y étaient distribuées par tirage au sort et vote éliminatoire. Et d’autres pistes existent ! La révocabilité des mandats : tu trahis, tu dégages. Le mandat impératif : tu votes comme tu as été désigné pour le faire, puis tu dégages. Le référendum sous toutes ses facettes. Des outils démocratiques vite planqués sous le tapis. La constitution de 1958 a explicitement exclu la possibilité du mandat impératif. La même ne réintroduisit le référendum que pour légitimer un pouvoir putschiste.

Face à la crise de la représentation – les Gilets jaunes foutant le feu à l’Arc de triomphe, ça avait quand même fait tiquer –, des procédures d’apparence un peu plus démocratiques sont ressorties des fagots ces dernières années. Mais le sort de la Convention citoyenne sur le climat de 2019-2020 a pu étonner jusqu’aux plus sarcastiques. Macron avait promis de reprendre telles quelles les propositions de ce groupe de citoyens tirés au sort. Las, le produit de l’intelligence collective excédait tellement son horizon bouché qu’il les a enterrées illico. Limpide.

On le sait bien : quand la députée Renaissance Aurore Bergé affirme au sujet des retraites que «  la démocratie a parlé », elle se moque du monde. Ce qui est légal n’est pas forcément légitime ni démocratique. Un pouvoir n’est légitime que si le peuple y consent. Évacuant une place parisienne après une manif fin mars, un flic a bien résumé le moment : « Maintenant vous circulez, bonne soirée à tous, et désolé pour la démocratie ! » Ne soyez pas désolés. Le pouvoir, on le reprendra bien un jour. Vite, ce serait bien…


1 Le barrage contre l’extrême droite, tu te rappelles ?

2 Comme l’explique le philosophe Bernard Manin dans Principes du gouvernement représentatif, Calmann-Lévy, 1995.

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CQFD n°219 (avril 2023)

Depuis le passage en force du gouvernement sur la réforme des retraites, la France est en ébullition : blocages, grèves, manifs monstres et poubelles en feu ! Impossible de ne pas consacrer une très large part de notre numéro d’avril à cette révolte printanière. De Marseille à Dieppe, de Saint-Martin-de-Crau à Sainte-Soline, de la jeunesse en mouvement à la répression en roue libre, des travailleuses du sexe en lutte à l’histoire du sabotage... Reportages, analyses, entretiens. De quoi alimenter, on l’espère, la suite des mobilisations !
On vous emmène tout de même un peu hors de nos frontières (ou presque) : En Kanaky-Nouvelle-Calédonie, où la France poursuit sa démolition du processus de décolonisation, en Turquie où la solidarité populaire a pallié aux manques de l’État après les séismes début février et en Tunisie dans un musée particulier.

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