CQFD

Lycéens sous surveillance

Une jeunesse qui ne se tient pas sage


paru dans CQFD n°219 (avril 2023), rubrique , par Benoît Godin, illustré par
mis en ligne le 06/04/2023 - commentaires

En matière de répression du mouvement social, les lycéens semblent avoir droit à un traitement de faveur musclé, à Marseille comme ailleurs. Preuve que le pouvoir macroniste craint la jeunesse. Et préfère qu’elle marche au pas.

À Marseille, comme dans toute la France, avait lieu mardi 7 mars la sixième journée de mobilisation nationale contre la réforme des retraites. À la fin du parcours, quelques centaines de manifestants rejoignent le commissariat de Noailles, sur la Canebière, aux cris de « Libérez nos camarades », en soutien à trois personnes interpellées dans la matinée. Une scène assez familière en plein mouvement social. Sauf qu’ici, les camarades embarqués sont tous lycéens.

« Ces arrestations ont eu lieu avant la manifestation, raconte Hélène Ohresser, professeure d’histoire-géographie au lycée Saint-Exupéry, dans les quartiers Nord de Marseille, et syndiquée SUD éducation. Deux d’abord devant le lycée Thiers au moment du blocage. Puis une troisième sur le Vieux-Port, sous nos yeux, alors que nous attendions tranquillement le départ du défilé. » Le bilan du jour ne s’arrête pas là : le rassemblement devant le commissariat est chargé par les CRS qui arrosent copieusement la Canebière de lacrymos. S’ensuivent de nouvelles interpellations musclées, dont celles de cinq jeunes – deux lycéens et deux collégiens (l’un, de quatorze ans à peine), auxquels il faut ajouter un jeune racisé qui passait là par hasard. Au final, huit mineurs finissent en cellule. Ils ne seront libérés que le lendemain.

Huit mineurs finissent en cellule et ne seront libérés que le lendemain

Le jeune homme arrêté sur le Vieux-Port, un élève de terminale de 17 ans, verra même sa garde à vue prolongée et ne sortira qu’au bout de 30 heures. Il est convoqué en juin devant le juge pour enfants pour « violences aggravées avec arme sur fonctionnaires dépositaires de l’autorité publique ». Il lui est reproché d’avoir participé avant la manifestation à l’expulsion du cortège de membres du syndicat de police d’extrême droite Alliance. Malgré de nombreux témoignages qui contredisent cette version des faits : « Les éléments du dossier montrent que cette interpellation et les conditions de celle-ci ne se justifiaient pas, pas plus que la garde à vue », affirme son avocat.

Erreur sur la personne ? Pour Hélène, pas de doute, l’arrestation ciblait bien le jeune militant, « un des meneurs du mouvement lycéen ». La syndicaliste estime que les lycéens sont particulièrement dans le collimateur des autorités : « Il y a une volonté évidente de les faire taire, avec une grosse pression, des gardes à vue injustifiées… Il y a eu à mon avis des ordres donnés pour, dès le début du mouvement lycéen, leur faire peur, faire peur à leurs parents. Qu’ils restent bien sagement dans leurs salles de classe et à la maison ! » Les faits semblent lui donner raison, et pas que dans la cité phocéenne : à Paris, dès le 7 février, trois lycéens étaient placés en garde à vue après le blocus de leur établissement, cinq autres neuf jours plus tard [1].

[|« Des adultes en armes face à des lycéens »|]

Teddy De La Fuente-Larfaillou a les yeux qui piquent encore un peu lorsqu’il répond à nos questions par téléphone ce vendredi 24 mars : quelques instants plus tôt, il a été évacué par les « forces de l’ordre » de la gare de Montauban qu’il occupait avec l’intersyndicale. « On a bloqué avec la CFDT ! Je n’aurai pas cru que ça puisse arriver ! » plaisante cet élève de terminale, secrétaire national du Mouvement national lycéen (MNL) – le seul syndicat lycéen qui se revendique ouvertement révolutionnaire. Il confirme que la répression s’abat crescendo sur les luttes lycéennes aux quatre coins de la France, visant particulièrement les blocages des établissements : « Pour les lever, on a désormais des interventions quasi systématiques de la police qui n’hésite pas à pousser, matraquer, gazer. Des dizaines d’adultes en armes face à quelques lycéens qui se mobilisent pour leur avenir… »

« Cela dépend beaucoup des directions de lycées, témoigne Hélène. Là où je travaille, le chef d’établissement appelle systématiquement la police. Il y a eu plusieurs tentatives de blocages, et on se retrouve à chaque fois avec des gamins ceinturés, mis au sol… mais aussi des menaces de conseil de discipline, d’exclusion, des dépôts de plainte. C’est quand même très dur. »

Preuve que le gouvernement ne prend pas à la légère les blocus d’établissements scolaires, il a récemment modifié la législation les concernant. Considérés comme des délits d’entrave à la libre circulation ou, plus grave, à la liberté du travail, ceux-ci étaient déjà interdits, mais rarement sanctionnés dans les faits. La Loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur (Lopmi), promulguée en janvier dernier, prévoit désormais pour toute occupation d’un lieu d’études une amende forfaitaire de 500 à 1000 euros. Une sanction qui ne nécessite pas le passage devant un juge.

[|« Le blocage, un de nos seuls moyens d’action »|]

« Le blocage, c’est un de nos seuls moyens d’action pour nous faire entendre, analyse Teddy. On a bien sûr le droit de manifester, mais avec le stress causé par Parcoursup, beaucoup d’élèves viennent en cours même malades pour ne pas avoir une absence qui pourrait nuire à leur dossier ! Le blocage permet de récupérer tout le monde, de dire : “Le lycée est fermé, il n’y aura pas d’absence comptabilisée, venez, on va se faire entendre, car nous aussi on a des choses à dire !” » Faut-il le préciser : les lycéens ne disposent pas légalement du droit de grève.

« Un lycée bloqué, par rapport à une raffinerie ou même une route, ce n’est absolument rien en termes de perturbations, ce n’est pas un secteur stratégique. Pourquoi tant d’efforts pour nous réprimer ? » s’étonne Teddy. Qui tente une première explication : « Je pense que la jeunesse a quelque chose de fort à apporter au mouvement par sa masse, son dynamisme. Prenons l’exemple de ma ville, Montauban : les manifs des années précédentes dépassaient rarement les cent personnes, dans une ambiance quasi funèbre. Depuis qu’on bloque les lycées le matin, on arrive à 150 en cortège, en chantant et criant des slogans, on amène notre énergie ! »

« La jeunesse dans la rue a toujours fait peur au pouvoir »

« La jeunesse dans la rue a toujours fait peur au pouvoir, assure Hélène. Il sait que ça peut très vite s’amplifier, déborder, devenir incontrôlable pour lui. Surtout, les jeunes bénéficient en général d’un large soutien de l’opinion publique. Plus ils sont jeunes, plus c’est vrai. » Et de faire le lien avec les luttes des étudiants : deux des dernières grandes victoires du mouvement social ont été obtenues d’abord par la jeunesse en lutte – contre la loi Devaquet en 1986, contre le CPE vingt ans plus tard.

[|« On continue de voir de nouvelles têtes à chaque manif »|]

Cette « volonté générale de mise au pas de la jeunesse » (dixit Teddy) a trouvé une nouvelle expression avec l’annonce de la généralisation du Service national universel (SNU). Facultatif depuis 2019, celui-ci devait, selon les vœux présidentiels, devenir obligatoire dès l’année prochaine pour l’ensemble des jeunes âgés de 16 ans, scolarisés ou non. Au programme : uniforme, levée du drapeau et Marseillaise. « On aimerait nous obliger, sur le temps scolaire, à bien apprendre la leçon du gouvernement et à marcher au pas ! » dénonce Teddy. Emmanuel Macron devait faire des annonces en janvier puis en mars, mais la crise actuelle l’a contraint à reporter sine die… Le SNU semble aujourd’hui avoir du plomb dans l’aile – à moins qu’il ne ressurgisse quand viendra l’accalmie ?

Le gouvernement est donc (un peu) sur le reculoir… mais pas les lycéens. « Ils essaient de nous faire de plus en plus peur, mais malgré cette répression administrative et policière la mobilisation continue de s’étendre, se réjouit Teddy. On continue de voir de nouvelles têtes à chaque manif ! Certains lycées bloqués, c’était imaginable il y a encore un mois : Louis-le-Grand, Henri-IV, Janson-de-Sailly [2]… Je pense aussi à des petits lycées de campagne vers chez moi, comme à Moissac, où le maire est d’extrême droite et où il ne s’était rien passé depuis des années ! » Au moment où ces lignes sont écrites, la mobilisation des lycéens s’intensifie partout [3]. Le 22 mars, des élèves qui bloquaient le lycée Hélène-Boucher, l’un des plus remuants de Paris, proclamaient fièrement sur une banderole : « Parfois en garde à vue, mais jamais au garde-à-vous ».

[/Benoît Godin/]


Notes


[1Cette série d’interpellations a conduit à la création du collectif Anti-répression lycée Île-de-France, à l’initiative de la tribune « Retraites : stop à la répression des lycéens qui exercent leurs droits de citoyens », site internet de Libération (07/03/2023).

[2Prestigieux lycées parisiens.

[3Le 28 mars, les différentes organisations lycéennes annonçaient entre 450 et 500 établissements bloqués sur toute la France (en hausse par rapport à la précédente journée de mobilisation).



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Par Benoît Godin


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