CQFD : À ton procès, même le procureur a reconnu qu’il n’avait pas grand-chose à requérir contre toi. Le procès a surtout été l’occasion de pointer ce qui ne tourne pas rond à Pôle emploi…
Maxime : Critiquer Pôle emploi, c’est rompre le pacte social, mais de là à en faire un délit… D’autant que, précisément, cette institution triche, nous suspend sans procédure contradictoire, agit dans l’illégalité. Le discours contre la fraude est aussi une manière de distraire l’attention. La phrase qui m’était reprochée renvoyait à ce qui nous est dit en permanence pour nous stigmatiser.
Pôle emploi, c’est la fusion entre une boîte privée, l’Assedic, qui a toujours eu une culture de garde du coffre-fort face aux allocataires, et l’ANPE, en crise parce qu’elle avait une culture de service public et pensait, autrefois, qu’il était de son rôle de donner aux chômeurs des informations sur leurs droits. Tout ça est remplacé par une logique managériale : Pôle emploi recrute aujourd’hui de préférence des gens qui ont une formation de commerciaux.
À Pôle emploi comme à la CAF, les agents font un travail taylorisé, ils ne maîtrisent pas le processus dans lequel ils s’inscrivent, donc ils peuvent rejeter un dossier parce que sur le formulaire qu’ils doivent viser, il y a une case non cochée. On a fait des tables rondes avec des agents de Pôle emploi, et c’est sûr qu’ils souffrent : dire aux gens qu’ils n’ont droit à rien, ce n’est pas un rôle évident. Mais cela ne justifie pas ces agents qui, depuis le guichet, se vengent sur les allocataires de la misère sociale dans laquelle ils sont.
Il semble y avoir la volonté, à travers ce procès, de punir les actions collectives d’accompagnement que mène la CIP. Est-ce que tu pourrais parler de ces actions ?
Le procès est arrivé à une époque où on allait deux fois par semaine en agences pour faire débloquer des dossiers collectivement. On a obligé la direction et le médiateur national à se déplacer. On a obtenu des mesures générales, par exemple sur des trop-perçus réclamés à des intermittentes en congé maternité, ce qui a provoqué une crise à Pôle emploi. Ils n’ont pourtant octroyé ce dégrèvement qu’aux personnes qui ont participé à la lutte ou qui l’ont explicitement réclamé. Et, comme souvent, ils n’ont délivré aucune information sur les droits, ce qui permet d’annoncer des mesures fracassantes et de ne les appliquer qu’à 10 % des personnes concernées.
On fait moins d’actions de ce type aujourd’hui, parce que les directeurs donnent la consigne aux agents d’exercer leur droit de retrait quand il y a une action collective : on s’est parfois retrouvés seuls à l’accueil. Et les possibilités semblent se restreindre : les mouvements de chômeurs et précaires des années 1990 pouvaient se traduire par des occupations de plusieurs jours. Ce n’est pas envisageable actuellement, on est très vite virés par les flics.
À défaut de pouvoir résoudre le chômage, l’État tente d’imposer la soumission, d’assener que le travail reste le socle de la société et que les chômeurs sont illégitimes…
Aujourd’hui, on est dans un discours moral, qui vaut pour les chômeurs comme pour les retraités ou les autres allocataires : les droits sont décrits comme une dette dont sont redevables des assistés. On nous dit partout qu’on est une petite Grèce à nous tout seuls. Mais Sarkozy n’a fait que reprendre un terrain préparé par la gauche. En janvier 1998, Jospin disait : « Je préfère une société de travail à l’assistance. » Ce discours de restauration libérale et de destruction de toutes les formes de solidarité est depuis tout à fait dominant, avec l’aval de la gauche. Or la définition industrielle du chômage ne marche plus, parce qu’il y a un halo de situations qui ne sont ni de l’emploi classique, ni du chômage total : c’est le cas de centaines de milliers de « chômeurs en activité à temps réduit », mais aussi des stagiaires en entreprises ou des gens qui touchent le RSA et qui travaillent au noir.