Cap sur l’utopie

À nous le paradis terrestre !

Une des meilleures histoires anglo-saxonnes de la subversion pimentée est enfin traduite en français sous le titre Le Communalisme et l’éloquent sous-titre « Les Communautés affinitaires et dissidentes, des origines jusqu’au XXe siècle » .

Une excitante nouvelle : grâce aux indomptables éditions L’Insomniaque, une des meilleures histoires anglo-saxonnes de la subversion pimentée est enfin traduite en français sous le titre Le Communalisme et l’éloquent sous-titre « Les Communautés affinitaires et dissidentes, des origines jusqu’au XXe siècle »1.

L’auteur : Kenneth Rexroth (1905-1982), un satané autodidacte encanaillé avec des myriades d’artistes excentriques comme Marcel Duchamp, Allen Ginsberg, Diego Rivera ou d’agitateurs libertaires comme Emma Goldman, Paul Mattick, Alexandre Berkman. Rexroth enseigna à Santa Barbara la chanson rebelle et la poésie de combat, vint en aide pendant la Seconde Guerre mondiale à moult pacifistes d’origine japonaise harcelés par la flicaille étatsunienne, et veilla toute sa vie à établir des jonctions entre l’anarcho-syndicalisme farouche des Wobblies2 et l’épicurisme loufoque des Diggers3 à la Emmett Grogan.

Le panorama brossé par le prof insurgé des principales expériences communalistes tentées sur notre planète s’avère pour le moins impressionnant puisqu’il comprend toutes les espèces de zigotos s’étant mis à un moment ou un autre à mettre tous leurs biens en commun. Qu’il s’agisse de révoltés religieux très rationnels comme les lollards, les huttérites, les anabaptistes, ou complètement extravagants comme les membres de « la communauté extatique et orgiastique des adamites de Bohème » ou les Sons of Freedom défilant en masse tout nus et brûlant l’argent ainsi que les maisons luxueuses. Qu’il s’agisse des chevaliers anarchistes de l’entraide, des géographes Élisée Reclus et Pierre Kropotkine au détonateur-clé de l’individualisme libertaire aux States Josuah Warren, ou des émeutiers partageux britishs (les bêcheurs, les niveleurs, les divagateurs) appelant les dépossédés à jouir tout de suite des biens de la terre et à en finir avec la propriété privée.

Minutieusement décrites et analysées avec une verve croustillante, toutes ces expérimentations de modes de vie transgressifs harmonieux donnent en tout cas fichtrement envie de tenter plus et mieux.

Nous terminons notre tour d’horizon avec l’hérésie préférée de Kenneth Rexroth, celle des Frères et des Sœurs du Libre-Esprit au XIIe siècle. Les parpaillots de la secte estimaient qu’il n’y avait « ni dieu au ciel ni maître sur la terre », qu’il n’y avait dès lors plus à suer quatre chemises pour un seigneur ou pour le fils du charpentier, et que le seul péché mortel consistait à ne pas être imbu de sa propre divinité, à ne pas « passer outre aux tabous généralement admis ». Quant aux forces dépensées dans les âcres exercices du noviciat, il fallait les réparer par des buffets pantagruéliques, par de longues siestes, par des tenues shéhérazadesques (qui se portaient sous leurs vêtements monacaux) et des orgies à faire rougir le Malin.

Noël Godin

1 Communalism : From Its Origins to the Twentieth Century, Seabury Press, 1974.

2 Membres du syndicat libertaire international IWW (Industrial Workers of the World) créé en 1905.

3 Mouvement contre-culturel anarchiste actif en Californie à la fin des années 1960.

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