Documentaire de choc

À Calais, filmer l’(in)humanité

Dans Regarde ailleurs, Arthur Levivier prouve, en images, le harcèlement quotidien que fait subir la police aux migrants en transit vers l’Angleterre. Édifiant.
« Regarde ailleurs », un film d’Arthur Levivier

Un soir de fatigue, dans un campement d’infortune, un jeune exilé se confie : « Calais et l’Éthiopie c’est la même chose : la police. Pas de liberté. Tous les jours, toutes les nuits, “Allez-vous en !”  ; des sprays de gaz lacrymogènes. » Depuis le temps qu’elles perdurent dans le Calaisis, les exactions policières à l’encontre des migrants sont connues. Vérifiées, confirmées, attestées à longueur de rapports d’ONG. Mais on a beau savoir l’ignominie, la voir s’étaler à l’écran donne le vertige. C’est toute la force de Regarde ailleurs  : son jeune réalisateur, Arthur Levivier, ne s’est pas contenté de recueillir des témoignages.

Même si, des cas de violences physiques, il n’a pu filmer que les cicatrices, il est parvenu à montrer l’abject. Au moyen, si besoin, de dispositifs originaux. Les pandores l’empêchent de pénétrer dans un bois pour observer leur basse besogne ? Le documentariste va cacher une caméra dans un arbre. Et voici les poulets, telles des hyènes dans un documentaire animalier, pris en flagrant délit de destruction d’une cabane. Un autre jour, sur un parking, les voilà qui interrompent une distribution d’eau et de nourriture : « T’arrêtes pas de bouffer, toi ! Tous les soirs t’es là, se fait engueuler un migrant. Ça commence à bien faire ! »

De cette guerre menée sans merci contre la solidarité et la débrouille, les forces de l’ » ordre » ne sont pas les seuls soldats. Les employés municipaux aussi sont réquisitionnés pour jeter méthodiquement à la poubelle les fringues et les duvets des exilés qui sèchent au bord du canal. Il faut faire place nette pour les péniches de touristes anglais… Quant à la lande qui abritait la fameuse jungle, on apprend qu’elle est en « renaturation ». Le Conservatoire du littoral y mène des travaux « en faveur de la faune et de la flore sauvage », indique un agent filmé en caméra cachée. « On le dit pas trop, mais c’est aussi avec l’idée de rendre le lieu moins favorable pour un éventuel retour des migrants. Donc de créer des zones humides, des dépressions, des flaques un peu partout avec un relief compliqué et inhospitalier. »

Tourné au cours de trois séjours à Calais, (le premier en octobre 2016 pendant le démantèlement de la jungle, au milieu d’une nuée de reporters pressés), Regarde ailleurs a choisi son camp. Celui des migrants, de leurs danses, de leurs chants nocturnes autour du feu ; celui de leurs rêves et de la compréhension de l’exil. Pas le triste bord des politicards cyniques qui, de Sarkozy à Macron, ne viennent à Calais que pour construire encore plus de murs, caressant les bas instincts xénophobes d’une population locale qui – le film le montre – n’a pas toujours conscience des saloperies que l’État commet en son nom. Puisse ce documentaire l’aider à savoir.

Clair Rivière

« Regarde ailleurs » (86 minutes), film autofinancé achevé en janvier 2018, est actuellement diffusé au cinéma. À l’issue de son exploitation en salle, il sera (de nouveau) visionnable gratuitement sur Internet. Le réalisateur cherche également à présenter son film dans les lycées. Ami.es enseignant.es, ça aurait tout de même plus de gueule que Castaner montrant aux minots à quel endroit du corps les policiers ont le droit de tirer au LBD sur les manifestants, non ?

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