Zad partout !
Résumé de l’affaire : Il existe déjà une « zone de chalandise », où l’on retrouve Auchan, Leclerc, Casino et Intermarché, mais nos marchands ne jugent pas sa situation optimale pour le bizness, et déplorent, depuis des années, une « évasion commerciale au bénéfice des zones périphériques d’Avignon »1. Pour eux, il était par conséquent indispensable de se « doter d’une nouvelle zone commerciale sur un site attractif ». Seulement voilà, le projet de création d’une ZAC dans la zone de la Voguette, suivant une procédure réglementaire susceptible de garantir le respect de la « juste concurrence », a été abandonné par la Communauté de communes. Dès lors, la commune de Cavaillon (dont le maire est aussi le président de la Communauté de communes, vous suivez ?) avait les coudées franches pour réviser son plan local d’urbanisme (PLU) selon une procédure simplifiée qui avalisera le fait qu’Auchan, ayant effectué un achat massif des terres agricoles du secteur, est déjà maître chez lui avec 80 % du périmètre concerné, soit 35 ha. Cette procédure simplifiée serait particulièrement adaptée à l’installation d’un Drive, ce genre d’installation commerciale bénéficiant pour l’heure d’un vide juridique. Subsiste une légère difficulté : la zone est inondable. Qu’à cela ne tienne ! Les collectivités locales, grâce à l’argent des contribuables, s’engagent à financer la construction d’un pont sur la Durance (coût 35 millions d’euros) pour favoriser le développement économique – en priorité celui d’Auchan – en facilitant l’accès aux consommateurs des Bouches-du-Rhône. Et comme il serait bête de dépenser de l’argent inutilement, on construira aussi une digue pour sécuriser le tout, même si l’on fait valoir que cette digue, en cas de crue, pourrait renvoyer l’eau sur le chemin de fer.
Une association locale, proche des intérêts des petits commerçants, a bien essayé de dénoncer ces arrangements, mais son leader a laissé tomber, préférant s’investir totalement dans la lutte contre le mariage pour tous. Des émules de Notre-Dame-des-Landes ont repris le combat, sur d’autres bases. Un collectif s’est formé, qui rassemble, outre des paysans de la Conf’, Terres de Liens, Attac, les Verts, et quelques ultragauchos de service… Leur tract déclarait que « les terres sont faites pour produire des fruits, des légumes, des céréales », et appelait à semer un hectare de tournesol, annonçant avec espoir que ce sera « la première réappropriation par les paysans et les citoyens soucieux de maintenir les territoires vivants et de préserver les terres pour nous nourrir ». Avant de conclure à l’inutilité de ce projet de zone marchande, les habitants de Cavaillon étaient conviés à venir arroser les semis. L’action du 20 avril dernier a réuni une trentaine de personnes et deux paysans avec leur tracteur pour préparer le sol et semer. Des gens de la Léo2 et du collectif Mérindol-des-Landes (sic) sont venus prêter main forte et proposer une occupation des terres, mais cela a été jugé prématuré.
Sur ces terres, il y a d’ailleurs encore un occupant, un berger avec son troupeau de moutons qui, lui, voit d’un mauvais œil tout ce remue-ménage, dans un premier temps il a même cru que ça allait se terminer par une rave-party. Entre des négociations avec Auchan pour faire paître ses bêtes en attendant l’aboutissement du projet, et l’heure de la retraite bientôt sonnée, il a tout de même accepté qu’on clôture l’hectare ensemencé. Les militants de Cavaillon se sont bien sûr inspirés de l’offensive du 13 avril dernier à NDDL, « Sème ta zad »3. Mais ils ont opté pour une façon de faire plutôt symbolique, tandis que la résistance contre l’Ayraulport s’est d’abord constituée sur un processus d’occupation physique, de bricolage de cabanes, de réoccupation de fermes, d’organisation d’un réseau d’approvisionnement. C’est-à-dire par la construction d’une situation où des individus ont mis en commun leurs moyens d’existence. Du coup, les zadistes ont pu entrer dans des relations remettant en question la soumission à ce monde industriel, et « œuvrer d’abord pour une autre vie qu’ils définissent en marchant ». D’où la nécessité plutôt que d’importer le simple slogan de « ZAD partout ! », de produire collectivement les bases de ses propres moyens d’existence qui permettrait la véritable relation entre « résistants » à ce monde.
Conclusion des débats : le prochain rendez-vous cavaillonnais envisage d’organiser un pique-nique sur une ferme abandonnée.
1 Saisine de la société Shepar déposée devant le Conseil de la concurrence, le 21 juin 2005.
2 Voir CQFD n°111.
3 Voir le même CQFD N°111
Cet article a été publié dans
CQFD n°112 (Juin 2013)
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Paru dans CQFD n°112 (Juin 2013)
Dans la rubrique Du côté de chez les rustiques
Par
Illustré par Samson
Mis en ligne le 20.07.2013
Dans CQFD n°112 (Juin 2013)
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