ZAD en Chambaran
« Bonjour ! Permis de conduire et papiers SVP. Ouvrez-moi votre coffre. » Sur cette petite route forestière des confins de la Drôme et de l’Isère, nous nous croyions complètement seuls au milieu des châtaigniers. « Vous allez à la ZAD ? » Nous serions bien venus là pour du tourisme mais la multinationale Pierre et Vacances en a décidé autrement. Un kilomètre après le barrage de gendarmerie, voilà la maison forestière de la Marquise, rebaptisée « MaquiZAD » par les occupants du lieu, zadistes comme au Testet ou à Notre-Dame-des-Landes.
Ils sont là depuis le 30 novembre et la première manif-occupation, pour empêcher la construction d’un village vacances. Un « Center Parcs » où quelque 5 000 personnes viendraient barboter dans une bulle tropicale chauffée à 29° toute l’année. Le coût de cette villégiature de rêve ? Une zone humide sur 120 hectares dont 90 déforestés, un véritable « château d’eau » qui alimente nappes phréatiques et rivières de la région, 37 espèces protégées. Une paille !
Nils nous accueille à la barricade d’entrée de la « MaquiZAD ». La place forte des zadistes est une maison, propriété de l’ONF, occupée au titre du droit au logement, au grand dam des huissiers et autres gendarmes venus le 2 décembre leur demander de partir. Alentour, des dépendances et des cabanes poussent, certaines dans les arbres pour éviter qu’ils ne soient coupés.
« Si vous vous dépêchez, il y a une animatrice nature sur la zone de chantier pour constater s’il y a des animaux morts », nous indique Nils. En pataugeant dans des chemins bien boueux, sous les châtaigniers et bouleaux, nous parvenons à rejoindre Carol au lieu-dit « Souris ». Il y a là une cabane de palettes et de bâches en lisière de forêt qui surplombe une prairie. Sur la zone de chantier, les arbres sont réduits à l’état de copeaux sur le sol. D’autres sont empilés en tas de 6 ou 7 mètres. Des ornières, à hauteur de taille, laissées par les engins d’abattage nous rendent l’accès difficile. Les hydrocarbures présents à la surface de l’eau sont filtrés par un maigre barrage de paille. « 30 hectares ont déjà été déforestés », apprenons-nous. Pour l’instant les travaux sont arrêtés sous la pression des zadistes.
Animatrice nature à Romans-sur-Isère, Carol souhaite suivre l’évolution de l’impact des travaux sur les batraciens : « Les Chambaran, c’est un milieu très rare en France parce que c’est une forêt froide et humide. Ici, il y a des espèces qui sont protégées comme le crapaud sonneur à ventre jaune et le triton crêté. C’est aberrant que Pierre et Vacances ait eu l’autorisation de détruire ces espèces sur liste rouge, qui normalement sont intouchables. » Elle soulève le bois déchiqueté, retourne la terre, cherche dans l’eau, pour trouver d’éventuels cadavres. Rien. Le terrain est tellement retourné que les éventuelles traces du carnage doivent être enterrées. Carol craint que si les travaux reprennent au printemps, les animaux affaiblis par leur période d’hibernation ne soient pas en capacité de fuir les engins de chantier. Aux promoteurs du projet, Carol répond, « ils n’ont pas compris que l’argent et le béton ne se mangent pas ».
Descente à Roybon. 5 kilomètres. Les gendarmes ne sont plus là. En pause déjeuner. Sur les 3 premiers kilomètres, des riverains ont posé des panneaux « Non au Center Parcs ! » Au village le message est différent. A l’entrée, une grande banderole signée de l’association « Vivre en Chambaran » déclare « Bienvenue au Center Parcs ». De chaque côté de la grand-rue, les façades se parent de messages de soutien du même ordre. En face de la mairie, une statue de la liberté affublée d’une guirlande de Noël argentée et d’une écharpe tricolore clame : « Libérez mon village ». Look de zadiste et chaussures pleines de boue, le reporter de CQFD n’est pas le bienvenu. Les regards sont froids. Les habitants ne veulent pas répondre à ses questions. Deux motards de la gendarmerie viennent le contrôler alors qu’il fait des photos. Des vigiles à gilets jaunes et oreillettes le suivent. La haine et la stigmatisation des zadistes s’inscrivent sur les murs : « Non au terrorisme vert », « Zadistes pas ici. Dehors », « Oui au travail dans la région pour ceux qui veulent travailler… »
La municipalité et l’association « Vivre en Chambaran » considèrent que ce sont 98 % des Roybonnais qui voudraient du village vacances espérant que ça créerait de l’emploi et de la dynamique au niveau du territoire. Des emplois sous-qualifiés, mal payés et précaires. Si les zadistes sont vus comme des étrangers qui n’ont pas leur mot à dire sur ce territoire, le FN est lui accueilli à bras ouverts par les partisans du Center Parcs qui n’hésitent pas à balancer cette disqualification d’étranger sur la face des habitants du village s’opposant à eux. Dans une lettre ouverte à Serge Perraud, maire de Roybon, Michelle Pistone, habitante du bourg, membre de l’association « Pour les Chambaran sans Center Parcs », témoigne des velléités de ce dernier à son égard : « Tu t’es alors précipité en m’injuriant : j’étais une étrangère, mes parents étaient étrangers. C’est vrai, je m’appelle Pistone ! Mon arrière-grand-père est venu d’Italie aider à construire la ligne de chemin de fer Grenoble-Veynes. »
Détruire la nature et défendre l’emploi au service de la xénophobie ? Monsieur le maire n’a pas daigné nous répondre. Il était, sans doute, dans l’attente angoissée des premières décisions de la justice administrative. Et il avait raison de s’angoisser puisqu’elles suspendent en partie la poursuite du chantier. Les saillies de Manuel Valls avant les fêtes concernant le maintien des grands projets inutiles, y compris à Notre-Dame-des-Landes, ont-elles sauvé le réveillon de l’élu ? L’ordre administratif va-t-il à nouveau régner en France ? Pour Roybon, jugement définitif attendu en juin prochain.
Cet article a été publié dans
CQFD n°128 (janvier 2015)
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Paru dans CQFD n°128 (janvier 2015)
Dans la rubrique Ma cabane pas au Canada
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Mis en ligne le 05.03.2015
Dans CQFD n°128 (janvier 2015)
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