Carte postale
Vues de Marseille
Marseille, mal-aimée, bien-aimée, combien de fois on se cogne contre tes clichés : trop de bruit, trop de gens, trop sale, trop violente. Évidemment, ces mots-crachats amputent ta réalité. Parce qu’il n’y pas une seule Marseille. Ici, pas de vérité toute faite. La ville se veut et se vit comme indéfinissable, insaisissable.
À Marseille, il faut savoir se décaler, se décentrer, flâner, humer l’air ambiant. Ne pas aller trop vite. Se laisser happer, puis s’escamper, avec ou sans soleil. Prendre le temps de regarder la ville palpiter, se déchirer, se rabibocher. Dans le théâtre de la rue, on frôle souvent l’incident. Et la vie repart de plus belle.
À Marseille, la rébellion prend des chemins de traverse. Le monde se refait au bar, sur les bancs, avec juste un peu plus de tchatche qu’ailleurs. Souvent, l’humour se fait féroce – mais pas méchant. À l’image du carnaval indépendant de la Plaine et de Noailles. Des marchés où s’épanouit une gouaille unique, une façon différente d’être au monde. On s’y bat surtout avec les mots. On s’apostrophe, on s’emboucane, on esquisse un pas de danse et on reprend un verre.
Marseille ne supporte pas les conquistadores de pacotille. Ceux qui veulent la prendre de front. Ceux qui veulent l’aseptiser, la folkloriser. Et, dans ces cas-là, elle se cabre. Il y aura toujours des gens debout pour la défendre. En ce moment, c’est La Plaine qui est en colère. Pour protéger son marché populaire, pour garder son esprit frondeur. Les quartiers sont en perpétuel mouvement. Hier, c’était la rue de la République. Demain, ce sera Noailles. Et d’autres se lèveront aussi. Parce que Marseille ne veut pas se soumettre. Elle refuse de n’être qu’une terre d’escale pour croisiéristes et hooligans décérébrés. Tous ces petits trains sur le Vieux-Port, chargés jusqu’à la gueule de touristes santibèlli, ne captent rien de la colère sourde de cette ville. Pareil pour ces hôtels de luxe qui réclament maintenant des plages privées pour leur clientèle. Ils ne savent pas à quel point ils se fourrent profond le doigt dans l’œil ! Parfois, on se dit que les jeux sont faits, que Marseille va sombrer. Irrémédiablement. On aurait presque envie de les laisser finir le sale boulot. Un peu dégoûté, on part se poser face à la mer avec un peu de vague à l’âme. Se fondre dans l’horizon et recharger ses batteries. C’est peut-être ça, le secret : savoir débusquer la beauté qui ne s’offre qu’aux plus persévérants. Ici, les tourments ne durent pas bien longtemps, chassés par un mistral belliqueux. Tant que la mer sera là, le désespoir n’aura pas lieu d’être.
Photos : Patxi Beltzaiz / Contre-faits
Texte : Vero Traba
Cet article a été publié dans
CQFD n°145 (juillet-août 2016)
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Paru dans CQFD n°145 (juillet-août 2016)
Par
Illustré par Patxi Beltzaiz
Mis en ligne le 09.06.2018
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