Il y a un mois, CQFD publiait notre petite lettre consacrée aux dernières nouvelles du front montpelliérain. On y parlait du commando cagoulé qui a débarqué dans la nuit du 22 au 23 mars à la faculté de droit pour casser le mouvement social et de l’échec prévisible de cette brise de terreur. Quelques heures plus tard, le doyen Philippe Pétel démissionnait. Victoire ? Pas encore : on en voulait plus. Bien plus. L’assemblée générale du 27 mars en fut une belle et folle illustration, les très nombreux présents votant le blocage illimité de la faculté. Le doyen et ses gros bras avaient finalement réussi à élargir la mobilisation au-delà de toute espérance. « C’est à se demander si Pétel n’est pas un lambertiste caché », en rigolait un étudiant. « Pour l’unité, faut des ennemis communs. La révolution en marche de Pétel en Pétel », pouvait-on lire par la suite sur un mur de l’Université Paul-Valéry. Sous-entendu : jusqu’à obtenir la tête de Macron.
Notre précédente missive en restait là. Un mois plus tard, il est désormais temps de reprendre la plume pour raconter la suite.
La riposte
Le 11 avril, nouveau coup d’éclat. Les serveurs de la fac sont sabotés en pleine journée, pour empêcher la tenue annoncée d’examens en ligne. Encore une fois, les médias nationaux tournent leurs viseurs sur Montpellier. Et une pleine charrette de menaces s’abat sur les étudiants : pressions diverses, visite de la police scientifique, enquête approfondie. Pas de quoi, pourtant, gâcher la magique fête qui se tient le lendemain – le gala inter-luttes et intergalactique de la fac de droit et de science politique de Montpellier.
Une soirée réjouissante, axée sur la convergence des luttes. À la tribune, des avocats, des paysans, des chômeurs ou encore des cheminots en lutte. Le comité de mobilisation étudiant sert du punch. Deux caves coopératives de l’Hérault solidaires fournissent à petits prix les vins pour la soirée. Et il y a même de la bolognaise de sanglier cévenol – petits plats dans les grands. De quoi inspirer les travailleurs du bâtiment qui livrent au micro un discours offensif : « En moyenne, un ouvrier du bâtiment meurt chaque jour (travaillé) sur un chantier. Et pourtant, le maçon part à la retraite bien plus tard que le policier. […] Nous sommes de ceux qui n’auraient sans doute pas été sélectionnés dans la “ nouvelle ’’ et déjà si vieille université. Pourtant, nous avons des savoirs à transmettre, à partager. Et nous sommes friands d’en acquérir de nouveaux. Ce n’est pas parce qu’on est travailleur du bâtiment qu’on ne peut pas aussi être passionné d’histoire, de chimie ou de cinéma ! Il n’y a que les gouvernants et leur sbires pour vouloir nous enfermer dans notre travail, nous faire vivre pour travailler et nous faire travailler pour mourir. »
Une intervention suivie d’une ubuesque remise des prix. Il y en a pour tous les goûts : « meilleur blocage économique », « meilleurs casseurs », « meilleurs communicants », etc. Tous les nominés viennent récupérer leur oignon jaune, et même les « meilleurs anti-bloqueurs », qui s’affichent bons perdants. Puis, place à l’élection (presque officielle) d’un nouveau doyen pour remplacer le démissionnaire. Enfin... un seul ? Est-ce suffisant ? À l’évidence, non, puisqu’elles sont finalement sept à prendre la place de Pétel. C’est bien connu : plus on a de doyennes, plus on lutte.
#OccupyComico
Deux jours plus tard, manifestation nationale du 14 avril. Dès le départ, près de la place du Peyrou, un groupe de robocops se positionne au plus près du cortège afin de le provoquer. Ils reçoivent quelques œufs de peinture et ne tardent pas à répondre par une pluie de grenades lacrymogènes. Un harcèlement qui ne cesse pas de toute la manif, au bête prétexte que quelques vieilles vitrines de banques, assurances et grandes enseignes pâtissent du passage de la jeunesse. En retour, la flicaille n’essaye pas de nous disperser, préférant attendre le bon moment pour choper le maximum de personnes. Objectif atteint avant notre retour à l’université : 51 manifestants sont interpellés, dans un véritable déchaînement de violence. Coups, giclées de gaz en plein visage, personnes traînées au sol, insultes, menaces… Le prix à payer pour lutter dans une monde où tout se vend et s’achète, comme la force de travail du tonfa. Sauf que gouverner par la peur est une tactique qui a ses limites.
Après la nuit du 22 mars, nous avions décidé de retenir la leçon : plus jamais des gros bras ne gâcheraient l’une de nos occupations. Les multiples arrestations du 14 avril nous permettent de mettre en œuvre cette nouvelle résolution. Ce ne sont pas les policiers qui nous placent en garde-à-vue, mais nous qui occupons le commissariat central de la ville. Surprise ! De la cellule 3, face aux toilettes, déboule ainsi le mot d’ordre « #occupycomico », écrit sur une serviette de papier avec un reste de sauce curry. Dans ce cachot rebelle, normalement prévu pour une personne, est regroupée une étrange ligue de justes huissiers : quatre détenus aux capes dorées (des couvertures de survie) sur le dos, dont un en fauteuil roulant. Les voilà qui donnent de la voix : « Le comico, il est à qui ? Il est à nous ! » Et les détenus de faire connaître leurs revendications : « Monsieur le gardien, nous exigeons de sortir d’ici. Tant que cette revendication ne sera pas satisfaite, nous occuperons et bloquerons les lieux ! » En attendant, et au désespoir de l’OPJ, la grande majorité des 51 interpellés refuse le prélèvement ADN. Les détenus sont relâchés 24 h après, sauf une jeune fille retenue quelques heures par pure vengeance, ainsi que deux autres camarades promis à une comparution immédiate.
La semaine qui suit s’avère fort chargée. Lundi : condamnation d’un des deux derniers détenus à trois mois ferme. Mardi : nouvelle garde à vue de six personnes pour « vol de barrières en réunion » (ils ont tenté de bloquer l’entrée du rectorat). Mercredi : meeting-concerts à la fac, avec le renfort de cheminots en lutte. Jeudi : manifestation calme lors de laquelle les policiers tentent d’interpeller deux personnes, avant de lâcher l’affaire sous la pression du reste du cortège, notamment des syndicats. En parallèle, cinq personnes improvisent une mini manifestation au zoo du Lunaret, s’arrêtant devant chaque enclos pour clamer : « Libérez nos camarades ! » Cette fois, c’est sûr : la convergence des luttes est en marche !
Repli stratégique
En cette fin de mois d’avril, nous nous replions quelques jours dans les montagnes, là où se sont battus nos ancêtres camisards puis maquisards. L’occasion d’acter cette évidente réalité : la lutte ne s’arrête pas aux portes des amphithéâtres. Avoir un coup d’avance implique parfois de déserter, de savoir s’en aller, pour mieux revenir. C’est ce que nous décidons d’appliquer pour l’occupation de la faculté. Quand une cinquantaine de policiers débarque au matin du 23 avril, ils trouvent ainsi place nette et vide. Plus un chat, ni bloqueur ni insurgé. Des lieux déserts. Les uniformes en seront quittes pour la peine. Mais peuvent, pour une fois, affirmer sans mentir que l’évacuation s’est déroulée dans le plus grand calme.
Rien de rien, nous ne regrettons rien. Si ce n’est de n’avoir pu assister à la déception des policiers. Nous leur souhaitons bon courage pour relever des empreintes dans une faculté comptant quelques vingt mille étudiants. À bientôt pour de nouvelles aventures !
Par des (es)occupants du commissariat central de Montpellier.