Une lutte décolle

La manifestation de réoccupation du 17 novembre dernier a donné un nouvel élan à la mobilisation contre le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Mais pour ne pas se faire enfumer, ni dans le bocage, ni dans le dialogue, le mouvement a encore pas mal de sentiers à défricher. Aéroportage.
par La Casinière

Le matin du 17 novembre, une banderole « Veni, vidi, pas Vinci » claque au vent sur la façade de la mairie de Notre-Dame-des-Landes. Des centaines de tracteurs aux remorques remplies de palettes et de poutres prennent la tête d’un cortège bigarré. Suite à l’appel à manifester et à reconstruire un lieu collectif pour la résistance sur la ZAD, ils étaient donc plus de 40 000 venus des quatre coins de France soutenir la lutte contre l’« Ayrault-port », 40 000 à brailler contre les expulsions en cours. Cinq constructions composées d’un espace de réunion, d’une cantine, de deux dortoirs, d’un bloc sanitaire et d’un atelier, ont été édifiées fissa, à grand renfort de charpentiers et de menuisiers, autour de ce qu’on appelle désormais la « Chat-teigne ».

Tout est parti, il y a plus d’un an, d’une réunion du collectif Reclaim the Fields1. « On s’est un peu inspiré de l’appel à occuper un lieu prédéfini en cas d’expulsion du squat d’Ungdomshuset à Copenhague en 2007 et qui avait, au Danemark, agrégé un joyeux mélange de personnes venues d’horizons divers, alliant manifestations, sabotages, négociations avec la mairie et actions directes », raconte un « reclaimer ». Le groupe à l’origine de la belle idée transmet alors le topo à Notre-Dame-des-Landes, au point qu’après les premières expulsions, la sauterie réunit pendant quelques jours deux cents personnes en assemblée.

Face à l’opération César – nom subtil de l’opération d’évacuation de la ZAD initiée depuis le 16 octobre –, la manifestation de réoccupation devient alors une véritable opération Astérix, torpillant à coup de menhir toute tentative de division du mouvement. La violence des expulsions des différents lieux occupés sur la ZAD en ont révolté plus d’un, y compris en dehors des réseaux militants. « C’est sûr que s’il n’y avait pas eu la dynamique d’occupation, cette manifestation n’aurait pas eu la même ampleur. Et, surtout, il y a une réussite : celle de s’organiser tous ensemble en assemblée, malgré les prises de becs et les différences de culture politique !, lâche même un adhérent de l’Acipa

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2. Le fait d’occuper illégalement le terrain a été en quelque sorte légitimé, et puis ces jeunes ont apporté leur façon de fonctionner, très démocratique. »

Enfumage à tous les étages

Face à cette mobilisation populaire – et, incidemment, aux édiles d’Europe-Écologie, dont certains sont venus réoccuper, à leur propre sauce, la veille du 17 novembre, une ancienne maison squattée proche de la ZAD – les autorités ont été prises de cours. Le jour de la manifestation, Jean-Marc Ayrault, Premier ministre, ex-maire de Nantes et fanatique de l’aéroport, change son agenda ministériel pour éviter les journalistes. Préfecture et région s’entêtent à répéter en boucle le discours clivant habituel, renforcé par le ministre de l’Intérieur Manuel « Nicolas » Valls qui déclare « qu’il est hors de question de laisser un kyste s’organiser ». Des propos tout en nuance qui rappellent « la chienlit » de De Gaulle.

Une semaine plus tard, les robocops ré-envahissaient la ZAD pour détruire une des premières maisons occupées et protéger un huissier venu déclarer les cabanes reconstruites le 17 novembre illégales. « Cette opération consiste à empêcher la reconstitution d’un camp retranché. Il s’agissait de ne pas laisser fortifier ce genre de camp », claironne alors le préfet Christian de Lavernée. Pierre-Henry Brandet, porte-parole du ministère de l’Intérieur, tout aussi va-t-en-guerre, est horrifié : « Les forces de l’ordre doivent franchir des tranchées, des barricades de plus de 2,5 mètres de haut, dont certaines peut-être piégées d’engins artisanaux. » Et de prévenir qu’il faut « empêcher l’installation d’un camp pouvant servir de base arrière aux opposants les plus radicaux, pour mener des actes de sabotage3 ». Pire que Verdun en 1916 ! Chauffés à blanc, les robocops font tellement dans la dentelle qu’on dénombre des dizaines de blessés à coups de flashball et de

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bombes assourdissantes. Matignon décide alors le 24 novembre de créer une « commission de dialogue » présidée par Claude Chéreau, un plus-bureaucrate-que-moi-tu-meurs socialo.

Najat Vallaud-Belkacem, la porte parole du gouvernement, explique que de facto « cette commission du dialogue servira à exposer à toutes les parties prenantes la réalité des travaux réalisés », tandis que Jean-Marc Ayrault continue à bougonner que de toute façon l’aéroport se fera4. Deux jours après, sur une barricade, des policiers infiltrés arrêtent des opposants, dont un se prendra sans attendre cinq mois de prison ferme... Ce drôle de dialogue, qui devrait durer près de quatre mois, sent déjà bon l’enfumage et « l’opération de communication » selon un communiqué de presse des opposants à l’aéroport.

L’État commence à transpirer à grosses gouttes. Et ça se voit avec la révélation du trucage grossier du budget de l’aéroport destiné à démontrer que le projet est rentable5 et les propos de gendarmes qui rapportent que l’évacuation totale des occupants sur la ZAD leur paraît, à terme, impossible : « Cela fait déjà un mois et demi que ça dure et on n’en voit pas la fin […]. Il ne faudrait pas qu’il y ait d’autres gros événements de ce type en France. […] Déloger, on peut faire. Mais tenir, c’est impossible. On ne peut pas empêcher les gens de revenir le lendemain ou la nuit6.  »

Et pendant ce temps là...

À Notre-Dame-des-Landes, on ne se laisse pas abattre, les baraques sont retapées, on danse des tangos boueux sous les étoiles, on organise une réunion nationale de tous les collectifs locaux de soutien à la ZAD, et il y a d’autres temps de mobilisation en perspective. Les bouffes, les réunions, les fêtes improvisées, les copains blessés et le froid soudent encore plus la mobilisation. Pourtant, au coin du feu, les discussions vont bon train. Selon une opposante au projet se rappelant des luttes paysannes locales7, « un des grands points d’agrégation de cette lutte reste la défense de terres agricoles ou l’absurdité même du projet face à un État qui veut passer en force, mais cela ne suffit pas en terme d’ambition politique ».

Parler de la ZAD non seulement en tant que zone à défendre mais en tant que zone d’autonomie définitive et idéaliser un mode de vie alternatif où l’on cultiverait la terre, tout cela suffira-t-il à agréger les différentes voix du mouvement et à développer

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d’autres imaginaires sociaux ?

L’auto-organisation et les tentatives d’horizontalité de la lutte contre l’aéroport animent la mobilisation et le refus des aménagements du territoire menés aux forceps par l’État. Mais, comme à Tarente8, les différentes voix de cette lutte pourront-elles mettre, aussi, au centre du mouvement et des débats la question industrielle ? Et créer ainsi une véritable ligne de rupture face aux ambitions mortifères des édiles nantais qui déclaraient en chœur récemment : « Nous ne nous laisserons pas dicter notre destin, […] nous défendons l’aéronautique et les emplois industriels9. »


1 Collectif réunissant des « jeunes paysan-ne-s, des sans-terre et des paysan-ne-s en devenir, ainsi que des personnes qui veulent trouver le contrôle de la production alimentaire ». Voir CQFD n° 94.

2 Association citoyenne intercommunale des populations concernées par le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes.

3 Le Figaro, 24 novembre 2012

4 Le Point, 29 novembre 2012

6 Le Télégramme, 5 décembre 2012

7 La Loire-Atlantique a été dans les années 70 un haut lieu du combatif syndicalisme paysan qui a donné naissance à la Confédération paysanne.

8 Voir CQFD n° 103, PMO, Août 2012 et La Brique n° 33.

9 Communiqué de presse du 17 novembre de Jacques Auxiette, Président du Conseil Régional des Pays de la Loire, Philippe Grosvalet, Président du Conseil général de Loire Atlantique, Gilles Retière, Président de Nantes Métropole, Patrick Rimbert, Maire de Nantes.

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1 commentaire
  • 20 décembre 2012, 17:49, par bri44

    Très bon article ! Le président du Conseil Général de Loire-Atlantique ne manque pas d’air il vient de dire que la réfection des routes et l’abbattage de quelques arbres utilisés pour faire des barricades va coûter au département 400 000 € ! Normalement les fameuses routes abîmées (deux départementales) seront englouties sous le béton des pistes de l’aéroport ainsi que la forêt de Rohanne, où là ce sont des centaines d’arbres qui seront abbattus...et donc pas besoin de réparer ! Si on envisage de tels travaux celà veut bien dire qu’on ne croit plus beaucoup à cet aéroport...quelle est la cohérence ?