L’école n’est pas finie
Un lycée au piquet
La « non-reconstruction » de Mounier ? Jean-Jacques Queyranne soigne ses formules, mais en annonçant, le 27 septembre dernier, la fermeture de ce lycée grenoblois avant l’été, le président PS de la région Rhône-Alpes a soulevé une opposition pugnace. Un collectif de parents, profs et élèves campe sur le site, dépose deux recours devant le tribunal administratif et, le 7 avril dernier, Queyranne essuie un revers cinglant au sein du conseil régional où il détient pourtant une confortable majorité. Tout ça pour un bahut déglingué.
Il a le cul entre deux chaises, le lycée Mounier. Bâti en 1963 entre le centre-ville et les quartiers Sud, aujourd’hui longé par le tram, il devient lycée expérimental de 1973 à 1983, dans le sillon du laboratoire pédagogique du quartier de la Villeneuve1. Mounier brasse les classes sociales : ses options musique, arts ou sciences attirent des élèves aisés du centre-ville, alors qu’il compte le plus fort taux de boursiers de l’académie. Il accueille des BTS, des classes pour élèves d’origine étrangère, et offre un choix unique de troisièmes langues – chinois, turc, arabe... Tout en étant classé deuxième de l’agglomération pour son taux de réussite au baccalauréat.
« Ce que je connais du dossier me fait dire que rien ne justifiait la fermeture complète », indique Patrice Voir, adjoint au maire de Grenoble. Cet ancien de Mounier fut pendant douze ans administrateur du lycée en tant qu’élu régional : « Pour moi, la sécurité a servi de prétexte à une décision purement budgétaire. »« La sécurité, c’est l’arme fatale, ajoute Marc Garnier, parent d’élève. C’est très difficile de contredire un responsable quand il brandit une mise en danger des enfants. »
Or rien n’a confirmé les propos alarmistes de la région. Un « rapport d’expertise structurelle » réalisé par un cabinet indépendant en juin 2010 indique qu’un des bâtiments « devra être déconstruit, mais que les désordres observés ne présentent pas de caractère d’instabilité à cinq ans. » Alors que tout devait fermer en juin 2011, avec déploiement des quelque huit cents élèves dans d’autres lycées, les concessions pleuvent. Dès le mois de novembre, Queyranne accepte de maintenir des classes de première et terminale pour que les derniers élèves terminent leur cycle à Mounier. Exit les secondes, certaines options spécifiques et les BTS... Fin janvier 2011, dernière concession de taille : trois classes de secondes seront maintenues sur les sept existantes à la rentrée, avec toutes les options. Mais pour éviter un démantèlement progressif, il faudrait au moins deux nouvelles classes.
Directement concerné par le démantèlement, le Collège-lycée élitaire pour tous (CLEPT) a eu chaud. Il accueille des élèves décrocheurs de quinze à vingt-deux ans. Installé à la Villeneuve depuis 2000, il permet à une centaine de jeunes par an de passer leur bac. « Ne maintenir que trois secondes, c’était encore un sérieux coup de canif porté à l’entité Mounier, dont le CLEPT fait partie », explique Bernard Gerde, prof de lettres. « Dans les quartiers Sud, c’est le seul lycée général. Les lycées techniques sont très nombreux autour d’ici, et il n’est pas question de les fermer, bizarrement... »
Politiquement, l’affaire coûte cher à Jean-Jacques Queyranne. Le 7 avril dernier, lors d’un vote devant autoriser « le président à se défendre » devant le tribunal administratif, le couperet tombe : 87 contre, 51 pour, et 18 abstentions. « C’est la première fois en Rhône-Alpes que l’assemblée refuse au président le droit de se défendre », jubile le collectif. Parmi les contre, tous les élus écologistes et Front de gauche. Lors du premier recours, fin février, Queyranne avait obtenu gain de cause grâce aux voix de l’UMP et du FN.
Non loin du lycée Mounier, à une station de tramway, trône l’externat Notre-Dame, établissement privé récemment rénové par... la région Rhône-Alpes. Selon un élu UMP de Grenoble entendu à la sortie du conseil municipal, « les établissements privés peuvent dire merci à Jean-Jacques Queyranne ! »
1 En juillet 2010, après la mort d’un braqueur, eurent lieu à la Villeneuve des affrontements avec les forces de l’ordre. Des affrontements qui inspirèrent le « Discours de Grenoble » éructé le 30 juillet par Nicolas Sarkozy. Pour Jérome Soldeville, prof depuis quinze ans à Mounier, « les événements de cet été à la Villeneuve ont quelque peu perturbé le bon déroulement de la fermeture du lycée. »
Cet article a été publié dans
CQFD n°89 (mai 2011)
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Paru dans CQFD n°89 (mai 2011)
Par
Illustré par Nardo
Mis en ligne le 24.06.2011
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