Promo sur les tubes à essai

La Villette réenchante la science

De Hiroshima en Fukushima, on avait bien compris que les progrès de la science étaient pavés de ruines et d’illusions. Que nenni ! La fine fleur du capitalisme français a repris en main la communication des rats de laboratoires et organise des expositions à sa gloire.

En 2001, la Cité des sciences et de l’industrie de la Villette, à Paris, proposait une exposition sur « le cheveu », en partenariat avec L’Oréal. Une collaboration particulière, puisque cet évènement avait été initié par le groupe de cosmétique lui-même ! Dix ans plus tard, en ce début d’année, une expo similaire s’affiche au Palais de la découverte1, avec le même « partenaire ».

Sponsoriser une manifestation à vocation culturelle est une chose, mais l’organiser ou la superviser en est une autre. Cette belle réussite de partenariat « public-privé » est l’œuvre de la Fondation Villette-Entreprise – présidée par Louis Gallois, l’actuel patron d’EADS, marchand de canons et membre fondateur, avec une dizaine de poids lourds du CAC 40, de la structure2. Si les scientifiques disent garder la main sur le contenu des savoirs – « Nous avons le final cut », fanfaronne l’un des commissaires de la Villette –, le public n’est jamais clairement informé du degré d’intervention de chaque « partenaire ».

Comment ne pas tiquer, par exemple, quand l’expo permanente « Énergies » de la Villette affiche comme sponsors de luxe Total et Areva ? D’ailleurs,

par Rémy Cattelain

un quizz interactif sur l’énergie nucléaire, au chapitre « accidents », n’évoque pas la catastrophe de Fukushima de mars 2011. Certes, l’expo a été inaugurée en juin 2010, et, pour marquer le coup, la Cité a bricolé une expo temporaire consacrée à « l’incident [sic] nucléaire de Fukushima »« À l’époque, plaide le service de presse, il n’était pas encore question d’accident grave ». Mais l’espace a été démonté en novembre dernier, et l’expo permanente n’a toujours pas été mise à jour. Ce sera fait, promis juré, « courant 2012 »

Alain Coine, responsable des affaires économiques de la Fondation, reconnaît que les entreprises ne sont pas de « simples mécènes, comme au Louvre, qui signent un chèque et laissent faire ». Mais leur « contribution est limitée, insiste-t-il. Au sein du comité scientifique de chaque exposition, les salariés des partenaires assistent aux réunions, peuvent s’exprimer, mais n’ont pas de “droit de vote”. Nous maîtrisons la ligne éditoriale. » Cela n’empêche pas certaines « tensions épouvantables », la formulation des énoncés, forcément synthétiques, se jouant « à la virgule près ». Les scientifiques, toutefois, sont contraints de faire des compromis, puisqu’il serait malvenu de froisser un partenaire dont dépend plus de la moitié du financement de l’opération ! Dans le cas de l’expo « Énergies », les mastodontes du nucléaire et du pétrole ont mis sur la table 2 des 3,5 millions d’euros de budget.

En 2006, c’est « Le corps identité », véritable promo à cœur ouvert de la biométrie, qui vaudra à la Cité d’être occupée un après-midi par une nuée de militants. L’expo était « co-organisée » par Sagem défense sécurité, qui cherchait à être « mieux acceptée » par le jeune public3. « Euh… Nous n’avons pas reproduit ce type de partenariat », admet Alain Coine, visiblement gêné. L’ambiguïté demeure dans « Tous connectés », encore à l’affiche début 2012 : sous couvert de vulgarisation du « monde numérique », on y vante les mérites des nanotechnologies. Et notamment le projet Nanoyou, de la Commission européenne, visant à « renforcer les connaissances des jeunes en matière de nanotechnologies et à favoriser le débat sur les aspects éthiques, juridiques et sociaux liés à ces technologies ». L’on apprend sans surprise que cette publicité grandeur nature a été préparée par le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) de Grenoble, où est érigé le centre Minatec, « campus d’innovation en micro et nanotechnologies ».

De fait, ces expos sont le plus souvent prétextes à promouvoir des secteurs industriels. La pertinence scientifique « Des transports et des hommes » (La Cité) n’est pas avérée, mais les sponsors – Air France, PSA, Renault, RATP et SNCF – y redorent leur image. Au Palais de la découverte, c’est l’industrie de la chimie qui s’est invitée pendant six mois pour répondre à la question : « Vous avez dit chimie ? ». Les mécènes ? Vous aviez deviné : le CEA (membre fondateur de la Fondation) et l’Union des industries chimiques, le lobby officiel de la branche. Les exemples sont légion : « Le Train se découvre » (2002, SNCF), « Le Génie du pneu » (1999, Michelin), ou encore « Pétrole, nouveaux défis » (2004, Total). À quand « Les secrets du médicament », avec les laboratoires Servier, mis en examen dans le scandale du Mediator, l’antidiabétique responsable de cinq cents morts ? Le labo maudit est, lui aussi, membre du club des amis de la Villette…


1 La Cité des sciences et le Palais de la découverte sont rassemblés depuis 2010 dans une structure unique, Universciences, présidée par l’ex-ministre de la Recherche Claudie Haigneré.

2 Fondation rebaptisée en décembre 2011 Fonds de dotation universcience partenaires. Au total, depuis l’ouverture de la Villette, 250 « grands partenariats » ont été mis en place. Soit une collecte de 60 millions d’euros environ.

3 « Parodie d’exposition scientifique », diront les Big Brother Awards. Un an plus tôt, le lobby des industriels, le Gixel, incitait, dans un fameux « livre bleu », les pouvoirs publics à multiplier les techniques de contrôle social comme la biométrie « dès l’école maternelle ».

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1 commentaire
  • 29 février 2012, 10:41, par Shapenou

    Deux points importants :

    La fiscalité favorable au « mécenat » permet au sponsor déguisé de bénéficier de 60% de réduction d’impôt. Au final, c’est nous contribuables lamda qui finançons le manque à gagner pour les caisses de l’état.

    La présence d’un « mécène » unique, donne aux publics une image tronquée de l’état des connaissances scientifiques et techniques en n’exposant pas d’autres savoirs. Dans le cas de lexpo « Biomètrie » par exemple, des laboratoires de recherches ou des PME auraient aussi eu des choses à dire et à montrer.

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