Tribunal de Paris, Cité, jeudi 31 janvier 2014
Najib a 18 ans, ou peut-être 21, cela dépend de celui qui le lui demande. Le 14 janvier dernier, dans le métro, il essaie de chourer un smartphone. Sans succès. Son propriétaire, un homme de 54 ans, n’a rien laissé passer et Najib, non content de quitter la rame bredouille, se fait interpeller par des policiers en civil présents dans la station, direction le commissariat. Sur place, le jeune homme reconnaît avoir tenté de prendre des mains le téléphone du voyageur mais refuse de donner son ADN et ses empreintes digitales aux fichiers de la police.
Le procureur de permanence, rongé par la routine ou pressentant que la République est en danger, décide de faire juger le jeune homme dans les plus brefs délais. Najib passe donc en comparution immédiate, le lendemain des faits, pour tentative de vol et refus de prélèvement. Comme la loi l’y autorise, Najib préfère ne pas être jugé tout de suite afin de préparer sa défense avec son avocat. L’audience du jugement est fixée au 31 janvier, deux semaines plus tard.
– Lors de votre précédente interpellation, entame le juge, vous avez dit être né en 93 ?
– Oui, la raison c’est que je ne voulais pas aller en prison pour mineur.
– On nous en fait beaucoup ici, rigole le juge, mais jamais celle la…
– C’est la meilleure ! s’esclaffe la procureure.
– Vous êtes arrivé en France en 2009, est-ce que vous travaillez ? interroge le juge.
– Je suis peintre en bâtiment.
– Vous êtes mineur et vous travaillez !? reprend ironiquement le juge.
– Oui, au noir, précise Najib.
– Je veux bien croire qu’on emploie des travailleurs au noir mais mineur j’en doute… conclut, avec une (feinte) ingénuité, le juge.
Ayant sans doute déjà pris sa décision, le magistrat demande au jeune homme s’il a des problèmes de santé, comme cela se fait généralement après l’annonce d’une condamnation à la prison ferme.
– Oui je suis suivi par un psychiatre depuis 2012, suite à une décision de justice.
On ne saura rien du problème psychiatrique de Najib, rien de son pays d’origine, pourquoi il l’a fui, pas plus sur sa situation matrimoniale, s’il a des enfants ou non, un domicile ou non, les études qu’il a pu faire et même son casier judiciaire restera « non identifié ».
La procureure enfonce le clou : « Il y a eu presque violence car il a tenté à plusieurs reprises d’arracher le téléphone des mains de son propriétaire, de plus il est en récidive et a refusé de se soumettre au prélèvement ADN et au relevé signalétique. » Elle demande six mois de prison ferme et le maintien en détention.
L’avocat qui, comme on l’a vu, a bénéficié théoriquement de deux semaines pour préparer la défense plie sa plaidoirie en une minute trente chrono : « Mon client se trouve en état de besoin… il a fait une simple tentative de vol… il regrette les faits qui lui sont reprochés… il est jeune et pas très intelligent… Je plaide votre clémence pour mon client. »
Après s’être retirés pour délibérer, les juges annoncent à Najib qu’ils le jugent coupable des faits qui lui sont reprochés, qu’ils ne retiennent pas l’accusation de récidive et qu’il va passer tout de même 6 mois ferme en taule.
Juge moqueur, procureur qui exagère, avocat nul, jugement plié avant l’audience, Najib, jeune exilé sans un rond avec des difficultés psychiatriques, s’est fait écraser par le rouleau compresseur d’une justice à la chaîne. Elle a défendu la société en continuant d’entreposer à l’ombre de la République une grande quantité de haine recuite.
Cet article a été publié dans
CQFD n°120 (mars 2014)
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Paru dans CQFD n°120 (mars 2014)
Dans la rubrique Chronique judiciaire
Par
Mis en ligne le 28.04.2014
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