Ça fait cher la canette

Le derby Lyon/Saint-Étienne est à peine fini, le dimanche 28 avril, que des pierres et des canettes volent vers un cordon de CRS, qui répond à coups de matraque et de canon à eau.

Quarante-huit heures plus tard, Mathieu et Vincent, trentenaires au crâne rasé originaires de Saint-Étienne, comparaissent devant le tribunal de grande instance de Lyon. Ils reconnaissent avoir lancé des canettes « à proximité des CRS », puis avoir changé de vêtements afin de n’être pas reconnus. Mais les policiers chargés de surveiller les agités du stade les avaient repérés. Jugés séparément « pour jets de pierre et de verre sur les forces de l’ordre aux abords d’un lieu sportif », les deux Stéphanois répondent aux questions concernant leur travail, leur famille, leur éventuelle consommation de drogue et les motivations de leur geste.

L’avocat des deux policiers qui se sont portés parties civiles charge les prévenus : « Ce sont des faits insupportables pour les policiers et la société. » Le procureur enfonce le clou : « Ce sont des actes gravissimes et intolérables ! » Il réclame deux mois de prison sans mandat de dépôt et cinq ans d’interdiction de stade pour chaque prévenu. Vincent explique qu’après avoir lancé une canette à un CRS sans l’atteindre, il est allé s’excuser auprès de lui. « La police m’intéresse, je respecte ce métier que je ferai peut-être un jour. » Son avocat plaide la clémence : « Mouvement de foule, réaction face au jet du canon à eau… L’erreur est humaine. » Mathieu est condamné à quatre mois de prison avec sursis et Vincent à soixante jours-amendes de quarante euros. Tous deux sont interdits de stade pendant cinq ans. Le tribunal les condamne à payer 300 euros d’indemnité aux deux CRS, bien qu’aucune ITT n’ait été attribuée. Ils doivent en outre acquitter 300 euros aux avocats de ces deux policiers sans doute victimes d’un insondable traumatisme…

L’audience suivante convoque un supporter lyonnais, David. Ce même jour de match, en attendant d’entrer dans le stade, il est assis sur une place. Soudain, des gens se font courser par des CRS et un de ses amis se fait matraquer. Il réagit en lançant une canette : « Mon ami s’éloignait et j’ai eu l’impression que… », tente d’expliquer David, aussitôt interrompu par le juge : « Les caméras de surveillance montrent un jeune homme reculer, puis ramasser une canette avant de la jeter sur les CRS. » Un policier partie civile déclare à la barre avoir senti « une douleur sur le coup », mais ne présente ni certificat médical, ni ITT. « Les conséquences auraient pu être plus graves », plaide l’avocat de la police. Le procureur, qui réclame un mois de prison sans mandat de dépôt et cinq ans d’interdiction de stade, déclare : « Une canette à moitié pleine est aussi dangereuse qu’une bouteille en verre. Dans son geste, il y a manifestement la volonté de faire mal. » L’avocat de David rappelle que les vidéos montrent que « sur cette place, les CRS avancent plus vite que les gens ne reculent » et la canette que son client « jette dans un geste irréfléchi atterrit sur un bouclier ».

Le tribunal va plus loin que les réquisitions du procureur et condamne David à quatre mois de prison avec sursis et trois ans d’interdiction de stade. Il doit verser 300 euros de dommages et intérêts au CRS au titre du préjudice moral, ainsi que… 300 euros de frais d’avocat du policier ! Étrange coutume judiciaire, puisque ces procédures, qui finissent la plupart du temps par arrondir les fins de mois des fonctionnaires, sont prises en charge par le ministère de l’Intérieur.

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