Nucléaire
Train Castor et guérilla champêtre
À Valognes, on n’a pas souvent l’occasion d’assister à un tel chambardement. Pourtant, chaque semaine depuis l’installation de l’usine de retraitement des déchets radioactifs à La Hague, cette petite ville du Cotentin voit passer au moins un train de déchets. Ce trafic de matières radioactives irradie régulièrement Valognes et le reste de la France sans jamais (ou presque) faire de vague. Pourtant, la Criirad1 est formelle : « Trente minutes à proximité d’un tel convoi suffisent à atteindre la limite de la dose annuelle pour le public ! » Mais du côté de chez Areva, on fait tout pour rester le plus discret possible sur le transport de ces déchets, maillon faible de l’industrie nucléaire.
Le collectif Stop-Castor a donc décidé, le mercredi 23 novembre dernier, de percer la chape de plomb qui pèse sur ces « Tchernobyl roulants » : « Les déchets sont le symbole de l’incapacité à gérer durablement et véritablement les conséquences du grand délire nucléaire. Leurs transports sont leur manière de faire diversion. Déplacer pour créer l’illusion de savoir qu’en faire, “retraiter” pour "recycler" en partie à des fins militaires, enfouir pour camoufler, et surtout, brasser du vent face à l’impossibilité de gérer l’ingérable. » Alerté du départ d’un convoi transportant plus de cent tonnes de déchets hautement radioactifs à destination de l’Allemagne, le collectif a appelé à un large rassemblement pour tenter de perturber ce convoi.
Réunies en une assemblée générale bigarrée – des habitants du bled, des collectifs de précaires, des militants du réseau Sortir du nucléaire, quelques indignés, des syndicalistes de SUD ou de la Confédération paysanne et d’autres encore venus des quatre coins de la France – près de trois cents personnes se sont accordées sur les différentes stratégies de blocage des voies. Finalement, craignant un départ anticipé du train, c’est dans une certaine improvisation que le camp s’ébranle, à six heures du matin, pour une marche au flambeau en direction des voies. Quelques kilomètres plus loin, les gendarmes interviennent sans faire de détail. Les coups de matraque pleuvent et le paisible bocage est bientôt écrasé sous une épaisse fumée de gaz lacrymogène. Plusieurs heures de guérilla champêtre qui permettent aux plus ardents d’accéder aux rails le temps de quelques déballastages et autres menus sabotages.
Aux alentours, les habitants rencontrés se montrent plutôt favorables au rassemblement en dépit de la propagande des journaux locaux sur l’attachement des Normands aux emplois générés par le nucléaire. Un bûcheron laisse les manifestants s’abriter sur son terrain. Une voisine apporte des litres de café aux campeurs restés en retrait où à ceux venus se replier. Un paysan, qui voit ses vaches asphyxiées par les lacrymogènes et ses talus endommagés par les anti-nucléaires en fuite, hausse les épaules, sans colère aucune, en disant que c’est normal qu’il y ait du dégât dans de telles circonstances.
De retour au campement, le moral est au beau fixe, certains parlent même d’un renouveau du mouvement anti-nucléaire français. Il y a bien eu plusieurs personnes arrêtées, poursuivies ou blessées. Mais, pour la première fois depuis des années en France, un rassemblement anti-nucléaire public et populaire a pu atteindre son objectif : celui d’enrayer, ne serait-ce que pour quelques heures, le train-train de l’industrie nucléaire.
De quoi donner envie à ce nouveau collectif et à tous ceux réunis en Normandie à cette occasion de poursuivre cette dynamique en s’intéressant de plus près aux lignes THT en cours de construction – des lignes à très haute tension qui permettront au futur réacteur EPR de Flamanville d’être connecté au réseau électrique français –, mais aussi à la lutte autour de Bure, site choisi par les industriels du nucléaire pour enfouir tous les déchets à vie longue produit par les centrales depuis cinquante ans…
1 Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité.
Cet article a été publié dans
CQFD n°95 (décembre 2011)
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Paru dans CQFD n°95 (décembre 2011)
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Mis en ligne le 09.02.2012
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