Toujours en conflit

LE MOIS DERNIER, je vous parlais d’un conflit dans ma boîte qui touchait une cinquantaine de salariés des ateliers de fabrication d’acide nitrique. Hé bien, ce moment n’a pas été simple à vivre, notamment à cause du patron. La quarantaine déplumée, droit dans ses bottes, il ne regarde que l’intérêt de la société et les pseudo-contraintes techniques. Un « patron », un vrai, particulièrement patriarcal et même pas « paternaliste » dans ses rapports avec ses subordonnés et avec les salariés en général. En résumé, c’est lui le chef, il a raison et ses décisions sont les seules valables. C’est un type qui en veut, dans la lignée des cadres dirigeants actuels, qui ont l’air de ne pas se poser de questions existentielles. Et logiquement, il ne négocie pas.

Les grévistes demandaient le maintien de cinq emplois et quelques autres aménagements de sécurité, ainsi qu’une augmentation de salaire. Ce n’étaient pas des revendications très révolutionnaires, plutôt a minima dans une société qui a affiché une centaine de millions d’euros de bénéfices cette année. Cette grève était surtout le résultat d’un ras-le-bol lié à des dégradations de conditions de travail et à une souffrance au travail des plus pressante. Plutôt que négocier, le patron a fait du chantage au chômage technique et les grévistes, plutôt qu’abdiquer, ont durci le mouvement. Ce n’est pas facile à expliquer pour des lecteurs étrangers à la boîte, mais en ce moment il y a des travaux gigantesques dans l’usine qui nécessitent beaucoup de monde ainsi que certains arrêts techniques. Donc la direction a donné une date butoir pour arrêter la grève et les grévistes n’en ont pas tenu compte et sont allés jusqu’à l’arrêt total de l’usine.

La direction a voulu mettre les grévistes en chômage technique,mais sans en informer le Comité d’établissement ni la direction du Travail. Forcément, ça a coincé. J’ai participé à la réunion entre l’inspectrice du travail, le patron et une déléguée CGT. D’avoir en face de lui un anar qui écrit des bouquins sur l’usine et une trotskiste, le patron était fou. Pensez, des gauchistes, des gens d’un autre âge qui prônent ce concept préhistorique de lutte des classes (et encore je vous la fais courte) ! Pour lui cette grève était simplement un complot de la LCR qui voulait fermer la boîte. Un peu simpliste comme analyse mais tellement plus dans la façon de penser du MEDEF. Bref. Comme l’inspection du travail a refusé le chômage technique, le patron a remis les mecs à l’usine avant de trouver le concept de « chômage par force contraignante » pour envoyer de nouvelles lettres recommandées aux grévistes et à une dizaine de salariés d’autres secteurs. Du coup les grévistes-chômeurs ont bloqué les portes de l’usine, et ont fait venir la presse locale qui a pris fait et cause pour eux. Au bout du compte, la direction a proposé un accord de fin de conflit, où elle acceptait de garder trois emplois sur les cinq, et proposait de payer le chômage à 75%, si les grévistes (et les autres salariés de l’usine) promettaient de ne pas faire grève pendant les trois prochains mois. Les grévistes-chômeurs ont refusé et il n’y a pas d’accord. D’une part ça montre la rancoeur des salariés de cet atelier (ils sont nombreux à vouloir quitter l’usine désormais ou à dire : « On est vraiment dans une boîte de merde »), d’autre part les grévistes savent que devant le juge des référés le patron va perdre et devra payer la totalité des jours chômés. En dommages collatéraux on remarquera que le chef de service du secteur et l’ingénieur viennent d’être viré et muté quasiment du jour au lendemain, pour ne pas avoir su tenir leurs gars dans un conflit qui a entraîné une perte de près de 10 millions d’euros (ce qui représente bien plus que les deux emplois que la direction ne veut pas lâcher).

Nombreux sont ceux qui se demandent si mettre une partie de l’usine en chômage technique n’était pas intéressant pour la direction, vu que c’est dans l’air du temps et que les cours des engrais ont tellement chuté qu’il faut trouver des biais pour les faire remonter. Mais faut pas voir des complots partout.

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Paru dans CQFD n°63 (janvier 2009)
Dans la rubrique Je vous écris de l’usine

Par Jean-Pierre Levaray
Mis en ligne le 09.02.2009