« En relation forte avec cet endroit-là »
Terra y zabitad
« Habiter ici, ce n’est pas juste y manger, y dormir et y avoir ses chiottes, c’est être en relation forte avec cet endroit-là », disait déjà en 2013 une occupante fabriqueuse de cabanes1. Cueillir des champignons autant que s’ancrer dans la lutte d’ici et ailleurs – No Tav, Bure, Chiapas, Rojava, soutien aux migrants. Rien de la défense étriquée d’un bout de bocage.
« La Zad est un lieu d’apprentissage et de perfectionnement des pratiques de mobilisation sociale, d’activisme, de chantiers collectifs de construction ou de jardinage... Une sorte d’université de la vie en accéléré », note Léo qui y passe de longs moments et finalise un bouquin sur le fait d’y « habiter en lutte ». Au menu de l’ouvrage : cultures communes et modes d’organisation, sans se fixer au charme pittoresque d’un art brut cabanesque, d’une poésie de fenêtres en biais, d’anarchitecture de guingois. Comme l’habitat en grappe de Drop City, première commune hippie rurale établie en 1965 dans le Colorado, les lieux de vie collective de la Zad se concentrent autour d’un poêle à bois, d’une cuisine, de bouquins, de coussins, parfois d’un accès au Net dans les fermes en pierres, d’un dortoir. Autour, à deux pas, les espaces intimes : caravanes, yourtes, camping-cars, en bord de prairie, à fleur de haie. Sans se limiter à leur collectif, les habitant.e.s rejoignent volontiers d’autres groupes pour biner un potager, participer à la boulange, ranger la bibliothèque. « C’est éclaté et relié en même temps, explique Léo. Mais avec une notion politique permanente de l’entraide et le sentiment de s’opposer ensemble au système dominant. Le fait que l’État veuille encore nous expulser après l’abandon de l’aéroport montre que nos manières de vivre et d’habiter lui posent problème. »
Cette lutte tenace ne s’est pas résignée à l’éphémère forcé des squats urbains, qui souvent ne durent qu’un temps. La Zad a toujours cultivé une audace politique à penser des installations pour s’enraciner, sans s’arrêter aux menaces d’évacuation. Après avoir coulé la dalle de béton de la brasserie des Fosses Noires, face aux perches supportant les plants de houblon, une inscription clin d’œil a été gravée : « On a la dalle ! » Les charpentiers qui ont monté l’impressionnant Hangar de l’avenir, futur atelier de menuiserie, n’ont pas non plus misé sur un provisoire assemblage hétéroclite. C’est de la belle ouvrage, du dur, durable, scié sur place. « Avec la volonté de se réapproprier les outils du bois, la scierie, la gestion forestière. C’est une façon d’habiter et un moyen d’autonomie vis-à-vis des ressources disponibles et de sa propre production. Utiliser des matériaux de récup’ a un sens politique, ce n’est pas une fin en soi », ajoute Léo.
À l’est, dans la « zone non motorisée » où la nature s’ensauvage, on ne touche pas aux arbres, construisant de bric et de broc, bois mort, palettes, vieux pneus, torchis d’argile ocre du cru et de paille jaune des abords. La récup’ de matériaux n’est pas coordonnée, mais on s’échange les bons plans. Chacun fait avec ce qui se trouve, argile extraite à la pelle, tôle ondulée, palettes ramassées en zones industrielles, voire, ironie du sort, à l’usine Airbus jouxtant l’actuel aéroport. « Ces palettes spéciales, grand format, sont très utiles pour monter des murs de maison en ossature bois. Démantelées, elles procurent de belles planches de bardage, des planchers. » Et quand un paysan solidaire cède un vieux hangar, il est démonté sur place, en échange de 50 piquets de châtaignier. Mi récup’, mi troc...
Si certains lieux-dits gardent leur nom d’origine, les nouvelles implantations se sont inventées des toponymes blagueurs. Le champ des Rouges et Noires sépare Les Fosses Noires de leur voisins, Les Vraies Rouges. Le Gourbi s’est construit sur une maison détruite en 2012 : l’ancien proprio s’appelait Gourbit... Bâtie au départ de trois murs noirs de décor de théâtre, La Boîte Noire a été récupérée par d’autres, puis customisée. Lama Fâché fait pendant à feu Bison Futé, mirador « info-trafflic » guettant les incursions policières (et brûlé depuis). Et Pui Plu est une cabane qu’on voit dans les bois, « puis plus ».
L’abandon du projet ouvre une nouvelle séquence : comment résister à la normalisation, à l’exigence administrative de permis de construire, d’impôts fonciers... Une phase à construire, autrement.
1 Citée dans Contrées, livre de Mauvaise Troupe aux éditions de l’Éclat.
Cet article a été publié dans
CQFD n°162 (février 2018)
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Paru dans CQFD n°162 (février 2018)
Dans la rubrique Le dossier
Par
Illustré par Mortimer, Marine Summercity
Mis en ligne le 17.02.2018
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