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Demain nous appartiendra-t-il ?

Supplique contre la bétonisation de Sète


paru dans CQFD n°215 (décembre 2022), par Fécile, Kostik, Seb 7 & Vanush, illustré par
mis en ligne le 12/01/2023 - commentaires

Située au cœur de la ville de Sète, la place Aristide-Briand est menacée depuis plusieurs années par un projet de parking souterrain. Créé en 2021, le collectif Bancs publics est en lutte contre l’imposition d’un réaménagement jugé écocidaire et aberrant.

C’était dans mon programme » est à peu près le seul argument de François Commeinhes, maire divers droite de Sète depuis plus de 21 ans, pour défendre son projet de parking sous la place Aristide-Briand. Avec un coût estimé de dix à quatorze millions d’euros pour plus de 300 places sur plusieurs niveaux, celui-ci menace une place emblématique du centre-ville, un lieu de passage et de brassage populaire, de marchés et de brocantes, ombragé par plus de 70 tilleuls argentés.

Si l’idée est sortie des tiroirs en 2018 dans le cadre du programme « Cœur de Ville », c’est le 3 décembre 2021 que le maire annonce, lors d’une réunion publique d’information, le début des travaux pour janvier 2022. Au menu de cette soirée : des plans plus que sommaires, des permis de construire en cours d’instruction, et une absence de consultation de la population, l’adjoint au maire affirmant lui-même qu’il s’agit non pas « de débattre s’il faut ou pas le faire, mais de comment on va le faire  [1] ». C’est en sortant de cette réunion houleuse que Bancs publics, un collectif rapidement constitué en association, décide de lutter activement contre ce projet aberrant.

[|Actions populaires et lutte juridique|]

Depuis cette soirée, l’association décide de nourrir le rapport de force avec la mairie en utilisant tous les moyens légitimes à sa disposition. Une pétition circule pour récolter le plus de signatures possible, la place est occupée par une permanence d’information quasi quotidienne, une réunion publique hebdomadaire est organisée les samedis matin, souvent accompagnée de performances artistiques. D’autres actions sont menées pour intervenir lors des conseils municipaux et intercommunautaires. Elles se soldent systématiquement par une fin de non-recevoir, un accueil sécuritaire disproportionné et des propos méprisants du maire (« Avec ce genre de personnages, moi je ne fais pas d’apaisement ») ou de ses adjoints, parlant « des macaques de Bancs publics ».

Pendant l’été 2022, la mairie produit une série de permis de démolir, construire, reconstruire et autres déclarations préalables de travaux et, en septembre, attaque les travaux manu militari. La place est contrôlée par la police municipale, aidée de la police nationale, pour faire face aux activistes qui tentent de s’opposer à la pose de palissades tout autour. En vain.

Plusieurs recours et référés sont déposés pour stopper le chantier, mais les travaux sont lancés sans attendre aucune décision de justice. Quand celle-ci tombe, il est trop tard pour le kiosque à musique du xixe siècle, mais pas pour les arbres, qui ne peuvent être enlevés sans une dérogation préfectorale. Malgré la décision du tribunal administratif de suspendre temporairement la transplantation des arbres, le reste du chantier continue, et la lutte aussi. Le 25 octobre dernier, plus de 400 personnes ont rejoint la réunion publique organisée par Bancs publics pour discuter du projet, parler urbanisme et mesurer l’ampleur du désastre écologique et social à venir.

[|Menaces sur l’eau et les arbres|]

La place Aristide-Briand se trouve au-dessus d’un aquifère karstique, une sorte d’énorme éponge gorgée d’eau, composé d’un réseau complexe d’alvéoles qui communiquent entre elles, et qui représente la principale ressource en eau propre du bassin de Thau. Le fait d’y creuser un trou pour y couler du béton risque de mettre en danger ce système en équilibre. Et réaliser le fond du niveau bas du parking impliquerait un pompage d’un volume d’eau tel qu’il pourrait dépasser les seuils admis pour obtenir une dispense d’étude d’impact environnemental.

Le fait d’y creuser un trou pour y couler du béton risque de mettre en danger ce système en équilibre

En surface, les tilleuls argentés profitent de cette eau abondante, qui les rend résistants à la sécheresse, et grandissent sans être arrosés. Plantés il y a seulement cinq ans, ils rafraîchissent un centre-ville de béton qui, comme partout ailleurs, subit l’air pollué, les îlots de chaleur et les canicules extrêmes engendrées par le dérèglement climatique. Selon des botanistes présents lors d’une des réunions, l’action de « déplantation-replantation » prévue pour la construction du parking verrait survivre, à terme, moins de 50 % des arbres. Ces tilleuls étant qualifiés d’« alignement d’arbres à préserver », la mairie doit modifier le Plan local d’urbanisme (PLU) et présenter une mesure compensatoire pour obtenir une dérogation préfectorale. Mais pour elle, c’est une occasion en or de tenter de verdir son projet : en lieu et place des 76 tilleuls ­argentés, ce sont bien 120 arbres qui seront replantés !

En attendant la décision de justice, la mairie promet une ville « apaisée », une place restaurée et arborée, tente de faire oublier que son projet de parking va favoriser la voiture en ville et que les arbres ne poussent pas sur des tonnes de béton. Selon l’association Bancs publics, c’est aussi l’occasion de faire oublier les infiltrations d’eau dans le deuxième sous-sol du parking Victor-Hugo, la destruction de la salle Georges-Brassens pour agrandir le parking des Halles, ou encore l’abatage de 120 cyprès en juin dernier pour créer… une voie verte !

[|Mépris du pouvoir et favoritisme|]

À Sète, malgré trois parkings payants en centre-ville, rarement pleins (plus d’un millier de places), et plus de 3000 places gratuites aux entrées de ville, la circulation reste problématique, surtout en été. En ne développant pas les transports publics et les mobilités douces, au profit d’un énième parking payant, la commune contraint toujours plus les riverain·es à payer leur stationnement. Un budget quotidien qui n’est pas à la portée de tou·tes dans une ville où, selon les chiffres 2019 de l’Insee, le taux de pauvreté s’élève à 24 % et le chômage à 21 %.

Du côté de la mairie, on ne connaît pas les mêmes soucis d’argent. En octobre 2022, François Commeinhes, également président de l’agglomération depuis 2014, est soupçonné de détournements de fonds publics suffisamment graves pour que le parquet requière une peine de cinq ans d’inéligibilité, douze mois de prison avec sursis et une amende de 144 000 euros à son encontre – verdict le 12 décembre 2022 [2]. En décembre 2021, il avait déjà été condamné à une peine de 10 mois de prison avec sursis et 8 000 euros d’amende pour avoir enfreint les règles de procédure de marchés publics au profit de proches ou de connaissances.

Entre favoritisme et projets imposés, Sète est aujourd’hui un vaste chantier. Ses habitants·es sont divisé·es par les manipulations clientélistes et les tentatives d’intimidation exercées par les détenteurs du pouvoir local. Au-delà d’un débat écolo-citoyen, il s’agit aujourd’hui d’un combat opposant un maire et sa majorité trempant dans les conflits d’intérêts à des habitant·es exaspéré·es par une bétonisation systématique, une gentrification liée au tourisme de masse et aux séries de l’industrie télévisuelle, et une ville pensée pour la voiture, et non par sa population.

[/Fécile, Kostik, Seb 7 & Vanush/]


Notes


[1« Sète : réunion houleuse autour de la présentation du parking Aristide-Briand », Midi Libre (03/12/2021).

[2Il a finalement été relaxé par le tribunal de Montpellier "au bénéfice du doute". Le parquet a fait appel en janvier 2023 (NDLR).



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Par Fécile, Kostik, Seb 7 & Vanush


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