Seins ronds, ventre plat

La gestation pour autrui (GPA), ou plus crûment la location d’utérus, redore d’atours modernes les vieilles coutumes de l’exploitation du corps des femmes. Au XIXe siècle, les Auvergnates venant d’accoucher se précipitaient à Paris pour vendre leur lait à la progéniture des bourgeoises du 16e arrondissement. Il y avait des bureaux de placement, on tâtait la marchandise, on vaticinait que le lait auvergnat était de meilleure qualité que le lait breton.

Par Caroline Sury

Et alors, me dira-t-on, puisque les Auvergnates étaient libres et qu’elles le faisaient de leur plein gré ? Sans doute auraient-elles été bien chagrines d’être renvoyées dans leurs contrées misérables ! Tout comme, plus près de nous, cet employé de Bricorama venu à la télé taper du poing sur la table : « Je veux travailler le dimanche !  » Il le voulait vraiment, mais on aurait donné à cet homme l’argent du dimanche pendant la semaine, aurait-il persisté dans cet aveu effarant ? C’est aussi l’un des poncifs pour justifier la prostitution : certaines femmes le « veulent ». Et c’est vrai, on trouvera des femmes qui tapinent sans contrainte. De même, si la GPA est légalisée, il y aura des femmes, en Slovénie, aux USA ou en France, pour louer leur ventre « librement ». Mais quel échec de la pensée de s’arrêter là ! Deux siècles après Marx, et tout le travail de la sociologie1 !

L’individu est une construction sociale, et nos décisions le fruit de nos expériences passées et de nos positions respectives. Si quelqu’un dit «  je veux », sans mettre en cause sa sincérité, faut-il oublier qu’il y a des circonstances à ce vouloir2 ? Faut-il s’empêcher de comprendre comment cette volonté est venue à l’ouvrier, la femme, la jeune fille ? Pourquoi ce ne sont jamais les descendantes des bourgeoises du 16e arrondissement qui loueront leur ventre, mais les Auvergnates mondialisées d’aujourd’hui ? Le consentement mutuel intrinsèque à tout contrat n’efface pas les inégalités sociales entre les deux parties.

Remarquons que la GPA pousse cruellement à bout la notion de « prolétaire » défini par l’étymologie : celui qui n’a pour toute richesse que ses enfants (proles). Transformer des utérus en force de travail est bien l’aboutissement de la misérable pensée économique : mon corps aussi est une marchandise, un capital que je peux faire fructifier. Certaines filles choisissent bien, « librement », de devenir star du porno… C’est la crise, mon corps est tout ce qui me reste, j’en profite !

Or, si les féministes ont martelé « mon corps m’appartient » pour avoir le droit d’avorter, elles ne disaient pas : « J’ai un corps et je l’exploite », mais bien « Je suis un corps, personne ne peut me l’aliéner en imposant de l’extérieur ses usages ou ses fantasmes » – par exemple en me violant, me forçant à la maternité ou à devenir un objet sexuel.

Soyons plus brutal : dans notre société de classes, il y a des corps qui peuvent acheter et des corps qui ne peuvent que se vendre. Le jour où les dominants se plairont à porter les enfants des autres autant que les dominés, nous changerons peut-être d’avis. Pour l’instant, personne, aucun couple, hétéro ou homo, même riche, amoureux, sympa, n’a le droit d’aliéner le corps d’une femme en lui imposant son « désir d’enfant » – notion qu’il faudrait d’ailleurs déconstruire en urgence !


1 Sur le mythe de l’individu libre, lire Bernard Lahire, Dans les plis singuliers du social, La découverte, 2013.

2 Analyser par exemple pourquoi le désir de maternité est plus répandu et « naturel » chez les Françaises que chez les Allemandes, qui ne bénéficient pas outre-Rhin de crèches, allocations et autres politiques natalistes ?

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6 commentaires
  • 30 avril 2013, 18:12, par Léna_Calme

    Puisque tu fais le parallèle avec la prostitution, les travailleurs du sexe qui revendiquent le droit de pouvoir exercer dans un cadre réglementé ne nieront pas qu’ils existent d’autres femmes qui se prostituent, sous la contrainte, nient encore moins la souffrance que cela engendre pour elles. On pourrait envisager une législation qui respecte le consentement des unes, et protégerait celles qui seraient contraintes, donc. Dans la prostitution, comme pour la GPA.

    • 3 mai 2013, 11:22, par Richard Amiot

      Dans le cas de la prostitution, et singulièrement de la prostitution de rue (la prostitution des pauvres ?), il est question non seulement de morale ou des moeurs, mais d’un régime de droit contraignant qui a toujours permis aux policiers et même aux tribunaux d’excéder arbitrairement les règles déontologiques usuelles (arrestations, interdictions de séjour, pénétration des lieux de domicile, criminalisation par association, etc.). Quel parallèle faire avec la gestation pour autrui ? C’est, pour les femmes (et aussi pour les hommes) un problème éthique, un choix personnel. C’est un problème que d’y contrainte ou de l’interdire. On peut interdire le commerce de la GPA, tout comme le proxénétisme ;, mais pas l’entraide.

    • 2 août 2013, 22:41, par Azucena

      Merci beaucoup pour cette réponse, en tant que féministe non-abolitionniste, et travaillant régulièrement avec des prostitué/es je souhaite que justement on respecte le consentement des personnes (et pas seulement des femmes, allez donc à la porte Dauphine et vous verrez qu’il y a également des hommes qui se prostituent).

      Les personnes qui font ça n’ont pas le choix il faudrait s’attaquer à la source des problèmes plutôt que d’abolir, si on leur donne un travail des papiers, qu’on arrête de discriminer les trans... il y aura beaucoup moins de prostitution. Si on pénalise les clients, illes vont mourir de faim, tout simplement et travaillerons dans des conditions encore pires...

  • 30 avril 2013, 22:07

    Je partage votre avis sur la GPA sur le fond, mais croire qu’il n’y aura que de pauvres désespérées pour louer leur utérus est un peu exagéré.

    Il y aura aussi probablement des solidarités familiales, des soeurs enceintes pour leur frère ou soeur, des femmes célibataires prêtes à expérimenter la grossesse par ce biais, quitte à se mettre d’accord pour ensuite garder un lien avec l’enfant.

    Le monde a changé, la grossesse est devenue beaucoup moins risquée médicalement et je pense vraiment que porter l’enfant d’un proche, gratuitement, est devenu quelque chose de beaucoup plus acceptable.

    Du reste, le discours sur la libre disposition du corps des femmes qui ne veut pas dire "j’ai un corps et je l’exploite", là encore comme vous dites la sociologie nous montre que nos choix sont très conditionnés, et aujourd’hui nous sommes dans une société où tirer de l’argent de tout est admis. Je le regrette, je le dénonce même, mais je ne peux aussi que le constater autour de moi.

    Alors désolée de briser l’idéal, mais oui il y a, et il y aura de plus en plus, des personnes (hommes et femmes) pour qui exploiter son corps est aussi acceptable qu’exploiter autre chose, et ce librement, et pas seulement parce que c’est la crise. On est devenu une société marchandisée, c’est effrayant, mais je trouve naïf ou illusoire de vouloir nier que les femmes aient été plus épargnées par ce mouvement.

  • 1er mai 2013, 01:23, par LH

    Être libertaire et mésuser de l’héritage sociologique pour relativiser la liberté des dominés qui choisissent leur domination en supposant que leur libre arbitre s’arrête là ou la morale commence, il est là "l’échec de la pensée" comme vous dites ! Et quel échec !

    La force de la position libertaire n’est-elle pas de condamner les moralistes en tout genre en montrant certes la construction du social et des représentations, mais aussi l’universalité matérielle de la subordination du dominé au dominant par delà spécificités de leur contrat, qui n’est nullement consenti contrairement à ce qui est dit, mais imposé (principe de la "domination"). Ce qui n’empêche pas le combat pour les libertés, même relatives, entre autres de choisir les modalités de son aliénation.

    Que d’erreurs et d’approximations dans cet article, ça donne le tournis :

    Il n’y a pas, dans la subordination, de différence de nature entre louer sa force de travail (ses bras) et louer sa force de procréation (son ventre). L’aliénation n’a pas trait à la supposée vente de son corps, bras, ventre ou tête, comme cela est suggéré (avez-vous vraiment lu Marx ?). L’aliénation résulte de l’exploitation qui est le vol de la plus-value du travail par le "locataire" de la force de travail (le capitaliste). On ne vend pas, on loue. Le corps n’est en lui-même pas une marchandise, ni les bras, ni l’utérus, et encore moins un capital à "fructifier". Dit-on d’ailleurs du travailleur qu’il "exploite ses bras" ? Et s’il garde la plus-value de son travail ?

    Les travailleurs ou les prostituées ne sont pas tous dépossédés (volés/violées), et rien ne dit que quelqu’un qui loue les services d’une mère porteuse lui vole automatiquement une valeur ou une plus-value (ni ne lui vole un bébé, ou même sa dignité, son honneur, ou toute autre valeur non économique pour réactionnaire…). De la même manière qu’il ne fallait pas forcément être auvergnates et dominées pour vendre son lait, le fait de louer sa procréation n’est pas forcément une preuve de domination.

    On peut même penser que le service de mère porteuse devra coûter cher (ou être gratuit et subventionné mais donner lieu à des acquis importants aux porteuses-travailleuses, salaire, retraites, etc.), ce qui permettra enfin de reconnaître comme travail à part entière la procréation, et valoriser plus l’activité des mères. Ce qui n’a rien à voir avec une fantasmée marchandisation de l’enfant ou même d’une fixation de prix des enfants comme en Chine où il faut être riche pour payer l’amende. Et quand bien même, par provocation eugéniste j’irais dire que si avoir des enfants devenait vraiment un luxe réservé aux riches, on aurait une issue à la reproduction sociale… Et si la procréation devient une activité valorisée (et "valorisante" au sens économique), peut-être une issue à la domination masculine ?

    Bref pour rester sérieux, votre vision erronée de l’aliénation cache un insupportable amalgame qui tend à assimiler les couples gays demandeurs de mères porteuses, aux capitalistes qui volent le travailleur. Ou la mère porteuse à une capitaliste coupable d’exploiter son propre corps. Attention de ne pas faire le jeu de l’extrême droite !

    Les féministes ont "martelé" comme vous dites : "mon corps m’appartient", et c’est bien pour cela qu’elles en font ce qu’elles veulent. Si elles préfèrent travailler avec leur utérus ou leur vagin, plutôt que de leur bras, elles doivent être libres de choisir.

    • 24 janvier 2014, 02:17, par HL

      bravo, c’est vraiment super <3

  • 2 mai 2013, 09:07

    Au-delà du "désir d’enfant", c’est la procréation en général qu’il faut critiquer (pourquoi "déconstruire" ?).

  • 6 mai 2013, 12:59

    l’exploitation du corps pauvre par le propriétaire : grande découverte. On ne vend pas son utérus, on le loue. Si c’est bien payé et que ça peut permettre de ne pas travailler la plupart du temps, oui c’est le même débat que la prostitution ou le x. On peut choisir de travailler le moins possible. Le seul qui vende son corps, c’est le soldat. Mais surveiller l’usage que font les hommes de leurs corps est moins ancré dans nos esprits que surveiller l’usage que les femmes font de leurs corps. On en vient donc à ce paradoxe pour le moins étrange : l’armée de métier ne suscite aucun commentaire. la prostitution ou la location de son ventre, tout le monde doit donner son avis. Au nom du marxisme ? Pas si sûr - quand on tombe d’accord avec les Barjot, il faut s’interroger.

  • 7 mai 2013, 13:03

    Bonjour,

    Je peux lire dans les commentaires à quel point le néolibéralisme a pourri les esprits, y compris chez celles et ceux qui se réclament de Marx. C’est trop facile de tout ramener à une vision économique et utilitariste des choses, mais c’est surtout dangereux (et faux). Le problème posé n’est pas un problème de liberté ou d’exploitation mais une grande question posée à NOTRE HUMANITÉ. C’est pour cela que le débat est profond, pour cela qu’il n’est pas près de finir et qu’il sera facile de diviser le peuple sur le sujet. Triste monde. Avec des "marxistes" pareil la FED a déjà gagné son combat.

    Bon courage CQFD, je ne suis pas toujours d’accord avec vous mais je suis heureux de pouvoir vous lire.

    Alexandre Maffre.

Paru dans CQFD n°109 (mars 2013)
Dans la rubrique Casse noisettes

Par Casse-noisette
Illustré par Caroline Sury

Mis en ligne le 30.04.2013