Bonne présentation
L’autre jour, je suis entrée dans un magasin spécialisé dans les vêtements professionnels. Depuis que je suis serveuse en extra dans les restaurants, je me cherche des chaussures dans lesquelles je pourrais rester sept heures de suite sans avoir les pieds qui explosent. Le vendeur m’amène devant un rayon « service ». Là, pour les femmes, il n’y a que des chaussures à talons. Je lui dis : « Vous n’avez pas des chaussures plates ? Avec les talons, j’aurai trop mal au dos en fin de service. » Il me répond : « Ah ben non, vous savez, les chaussures plates, ce n’est pas conseillé si vous voulez avoir une bonne présentation… »
Le terme de « bonne présentation » se retrouve dans beaucoup d’offres d’emploi. Sous ses dehors neutres, ce terme ne signifie pas seulement de venir travailler propre avec des vêtements propres. Il présuppose tout un code social qui s’applique plus durement aux femmes qu’aux hommes. Je ne dis pas que les cadres de La Défense ne soient pas soumis à une pression interne pour le concours du plus beau costard italien, mais si vous êtes un cadre de La Défense, il y a peu de chances que vous lisiez CQFD… Les mecs doivent se raser, trouver une chemise nickel, un pantalon sombre, des chaussures cirées, et voilà l’affaire. C’est déjà suant, je ne dis pas. Mais ce que j’observe pour les filles, dans ma recherche d’emploi, c’est quelque chose d’un peu plus insidieux. Sur le site La Vie Eco, qui se fait la caisse de résonance de ce que pense le manager capitaliste d’aujourd’hui, on trouve la liste des grosses gaffes à éviter : « les vêtements totalement noirs, blancs ou rouges ; un style voyant et extravagant ; les tissus aux motifs bigarrés, les pieds-de-poule, les carreaux, les rayures, les (grosses) fleurs ; les bijoux bruyants et brillants ; les talons qui font du bruit sur le plancher ; les lunettes, stylos, clefs, ou tout autre objet qui déforme les poches… »
Les femmes qui cherchent du boulot ont donc tout intérêt à privilégier des vêtements de couleur pastel, unis et soignés, soit une apparence classique et sobre, susceptible de se marier à merveille avec des lettres de motivation contenant des phrases du style : « J’ai une bonne présentation physique. Je maîtrise bien les outils informatiques. Je suis dynamique, rigoureuse, ponctuelle et discrète. » Dans l’entreprise, ce qui prime, c’est le style « jolie mais pas pute », surtout pas d’extravagances, surtout ne pas se faire remarquer ! Par contre, il faut mettre en avant quelques atours. Un patron m’a interdit les baskets, il m’a dit de venir travailler « un peu féminine ». Être féminine ! Je sais ce que ça signifie : des boucles d’oreilles, un joli sourire, maquillée mais pas trop, porter des jupes, bref donner à voir un minimum pour satisfaire aux canons de la féminité, ce qui, au fond, se résume à avoir l’air « soumise ». Moi qui suis plutôt jean’s-kickers, je ne suis pas restée.
Bien sûr, dans ce dress-code les femmes voilées n’ont aucune chance d’être embauchée car il faut savoir « s’intégrer », être discrète, et pour une fille, afficher sa personnalité, que ce soit par le hijab, un piercing, ou un style pas-soumis-au-regard-concupiscent, ça ne va pas.
Et mes chaussures, me direz-vous ? Finalement, j’ai ressorti des godillots que je peux mettre dans un bistrot où on ne me demande pas d’être féminine, mais efficace. Ça m’a rendu le sourire !
Cet article a été publié dans
CQFD n°115 (octobre 2013)
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Paru dans CQFD n°115 (octobre 2013)
Dans la rubrique Casse noisettes
Par
Illustré par Caroline Sury
Mis en ligne le 19.11.2013
Dans CQFD n°115 (octobre 2013)
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