Samia ou cinq ans de galère ordinaire

Ayant fui l’Algérie pour la patrie des droits de l’homme et, « accessoirement » de la femme, Samia a découvert en France la condition d’immigrée clandestine. Une tranche de vie qu’on prend en pleine tronche.

Samia a cinquante ans. Mariée à seize ans à un homme drogué et brutal, infirmière de nuit à l’hôpital d’une ville de l’est algérien, elle a enduré cette situation pendant dix-neuf ans, en partie à cause de ses cinq enfants, en partie à cause de la pression sociale, avant de demander le divorce. « J’ai attendu la mort de ma mère, qu’elle ne voie pas ça. Il est resté chez lui, je me suis retrouvée seule avec les enfants. Avec 150 euros de salaire, c’était trop dur. Là-bas, la loi ne donne aucun pouvoir à la femme divorcée, c’est comme si elle avait commis un crime, elle est un péché. J’ai gardé quelques copines, que des divorcées. »

Samia laisse les gosses dans la maison de sa mère, confiant les plus jeunes aux filles aînées, part pour la France et s’installe en banlieue parisienne chez son frère, en 2008. « Il m’a tout de suite amenée au Collectif de sans-papiers qui l’avait aidé pour sa régularisation. Je suis restée deux ans dans sa famille, mais je voulais m’en sortir par moi-même. » Elle rencontre l’association Femmes relais à Boulogne où elle donne des cours d’arabe pour les femmes qui l’aident comme elles peuvent, elle milite, et après deux ans quitte la famille : « Je suis partie pour travailler. J’ai logé un an par terre chez une amie, à l’hôtel, je rentrais à 23 h pour ne pas être vue. Les week-ends, je dormais au local du collectif. Le sol était dur et froid, depuis j’ai des douleurs dans le dos.  »

Par Rémi

Samia mange aux Restos du cœur et attend beaucoup du collectif. « J’étais déléguée, présente à tout moment. J’accompagnais les sans-papiers à la préfecture, je faisais les dossiers. J’ai fait toutes les manifs, la marche… » La marche de Paris à Nice en mai 20101 a soulevé de nombreux espoirs : « Je pensais que ça aiderait pour les papiers, je voulais découvrir la France aussi. Mes enfants m’ont vue sur Internet, ils étaient contents pour moi. J’ai rencontré des amis, on a fait le théâtre2… On a joué pendant un an et on a même fait une tournée. Quand je n’ai pas sommeil, je ferme les yeux et je revois tout comme dans un film. Tous ces moments où j’ai pleuré, rigolé, parlé… Je n’ai rien oublié. Avant j’étais très timide, mais avec la marche et le théâtre, j’ai changé. S’il faut parler à un maire ou à un préfet, je n’ai plus peur. »

L’espoir soulevé est vite retombé3, mais, en juin 2011, Samia obtient une autorisation provisoire de séjour (APS) de trois mois. Elle trouve immédiatement du travail auprès de personnes âgées, un logement, entrevoit la fin de la galère. « Mon métier me manquait. Un jour, à l’hôpital, j’ai dit à un médecin que je cherchais du travail. Le lendemain j’avais un rendez-vous pour un poste d’aide-soignante. Mais quand elle a su que je n’avais qu’une APS, la femme qui m’a reçue a tapé sur la table : “On a besoin de vous, mais il faut votre carte. Dès que vous l’avez, revenez et je vous signe le CDI.”  »

Pendant un an, Samia s’occupe d’une dame âgée matin, midi et soir. Trois allers-retours quotidiens en banlieue pour 8,42 euros de l’heure. « On s’aimait bien, j’arrivais en chantant le matin. Elle voulait que je reste la nuit, mais ses enfants n’ont pas voulu payer, pourtant c’était son argent à elle… »

A l’occasion du deuxième renouvellement de l’APS, Samia s’entend dire qu’il y a des problèmes dans son dossier, et elle redevient sans-papiers. Elle présente un nouveau dossier et c’est le coup de grâce : obligation de quitter le territoire français (OQTF). « Je ne me suis toujours pas relevée de ce coup. À la boîte d’intérim, ils ont peur et ne me donnent plus que quelques missions, les plus mourants, les plus lourds… Mais je ne peux rien dire, je suis sans-papiers. Ici je ne suis pas chez moi, on me voit comme quelqu’un qu’on ne peut pas toucher. Pourtant en Algérie j’ai vu pire : j’étais aux urgences chirurgicales de nuit. Les corps déchiquetés, les bras, les pieds… J’ai vécu tout ça. Mais j’étais chez moi, je rentrais, je voyais mes enfants, on rigolait un peu, ça soulage. »

Aujourd’hui Samia vivote mais ne veut pas renoncer à sa chambre : « Si je la quitte c’est la mort. » Elle loge dans un immeuble chic du 16e arrondissement, divisé en cinq studettes de dix m2, louées chacune entre 400 et 600 euros. « Quand c’est trop dur je regrette, mais je ne peux pas rentrer, un jour ça va aller quand même… Avec l’OQTF, j’ai vraiment désespéré. Je me suis mise à parler aux murs, aux arbres, aux oiseaux… J’ai pu rester grâce aux amis. J’ai fait mon petit trou. Mes enfants me disent de ne pas rentrer sans rien après toutes ces années. Je ne les ai pas vus depuis cinq ans ! Deux ont été opérés, ma fille s’est mariée et a eu un bébé, je n’étais pas là… Et tout ça pour être libre, pour vivre en paix. Je veux m’intégrer, avancer. Là-bas, on ne peut pas. La femme est femme est l’homme est homme. Et c’est l’homme le patron. Là-bas, j’ai peur, ici je vis libre, je veux vivre comme ça. » Un dossier en or massif pour l’actuel locataire de la place Beauvau, lui le grand adepte du cas par cas !


1 À l’occasion du XXVe sommet France-Afrique des 31 mai et 1er juin 2010, une centaine de sans-papiers, partis à pied de Paris un mois auparavant, avaient rallié une ville de Nice transformée en camp retranché pour les « accueillir ».

2 La « Compagnie irrégulière » a été créée durant la marche, a joué à l’arrivée et continué ses représentations en région parisienne pendant un an.

3 Sur les « bienfaits » de la politique du chiffre appliquée aux expulsions de sans-papiers, voir l’article de Jean-Sébastien Mora paru dans le CQFD de décembre 2010.

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