Maroc

Chorba amère

« Hollande en voyage d’affaires au Maroc » titrait la presse française fin mars. Pour l’heure le business remplace les clichés éculés sur le « pays aux vacances de rêve », mais une chose est sûre : on évitera de causer des Marocains, de leurs luttes et de la répression. En janvier 2012, CQFD interviewait Souad Guenoun, Casablancaise, membre du Mouvement du 20 février au Maroc (M20F) qu’elle avait rejoint en 2011, armée de sa caméra et de son appareil photo. CQFD revient avec elle sur un climat social marocain délétère.

CQFD  : Depuis 2012, le pays est aux mains du gouvernement Benkirane. Comment ça se passe ?

Souad Guenoun : Le gouvernement présidé par le PJD – les islamistes de service – a servi de caution : en 2011 ce parti a surfé sur le M20F, soutenu ses revendications, récupéré mots d’ordre et slogans. Les gens ont voté pour lui comme parti « le moins pire ». Il a créé un gouvernent de racolage avec des ministres PPS (Parti Progrès&Socialisme) – qui se revendique toujours du communisme promakhzen [royaliste – ndr]… On les a surnommé « Petit Parti de Sa majesté » – des gens de droite et du centre. L’opposition à droite a été fabriquée, menée par un copain du roi, se présentant comme la droite libérale éclairée intégrant d’anciens détenus politiques « retournés ». Bref, une drôle de soupe qui a permis de faire passer des mesures antipopulaires. Ça fait plus d’un an que ça dure.

Quelles sont ces mesures ?

Il s’est attaqué au mouvement des diplômés chômeurs, et à tous les mouvements de lutte : intimidations, tabassages, arrestations en nombre. Il veut supprimer la caisse de compensation, destinée à maintenir les prix malgré les hausses du pétrole, et les prix flambent. Ce sont les petites bourses qui en pâtissent. Le droit de grève a été limité. Tout le monde râle, tout le monde parle. Tous les jours on a des scandales sur la bouffe ou autre chose… Les transports sont défaillants. Les urgences ne fonctionnent pas, les médecins hurlent, les juges protestent…

Le M20F a eu deux ans en février, est-il toujours aussi dynamique ?

C’est dur en ce moment, on est à un tournant, on ne fait plus les manifs tous les dimanches. On a vécu une grande période de répression qui a visé les têtes. Les chefs d’accusation sont toujours les mêmes : deal, agression contre les policiers, casse, etc. Récemment Mouad, le rappeur et Younes, le poète, les stars du M20F de Casa, ayant purgé leur peine ont été libérés. Un comité d’accueil se préparait à les accueillir mais on les a lâchés à minuit pour que personne ne soit là. Et les arrestations continuent, ils sont décidés à casser tout ce qui bouge. On est fatigués, il n’y a plus de joie, tout le monde passe par des périodes de dépression. On continue à battre le pavé mais on est un peu désabusés… Ils ont ciblé les manifestants, ils nous connaissent tous. On croise des types qui nous menacent, qui agressent les filles, le climat est malsain. Ça fait partie de l’arsenal répressif. Le pire c’est que ce sont des pauvres gens qu’on nous envoie. Nous, on leur dit d’arrêter, qu’ils sont comme nous, qu’on défend leurs intérêts. On a envoyé au FSM une délégation d’Attac et du CADTM. Sur place il y avait une grande délégation marocaine à la solde du pouvoir. Ils ont agressé nos copines en pleine assemblée des mouvements sociaux du FSM de Tunis à la lecture de la déclaration finale, ils ont foutu la merde dans tout le FSM.

Tu dis que les gens protestent tous azimuts, sur quoi par exemple ?

Il y a une lutte importante de mineurs à Jbel Aouam, des luttes syndicales partout, mais elles sont éclatées. Ce dimanche à Rabat une manif syndicale unitaire a été rejointe par le M20F et les diplômés chômeurs, avec plus de 10 000 personnes appelant à virer le gouvernement aux cris de « Benkirane dégage ». On ne se fait aucune illusion : lui ou un autre, c’est des pantins. Ils seront bien obligés de changer, ça sera quelqu’un du sérail mais c’est une aggravation de la crise politique. à Kénitra la cité U est en lutte. Les flics interviennent sans cesse sur le campus, interdisant les réunions syndicales et tapant dans le tas. Ce lundi, des étudiants qui ont été empoisonnés à la cantine sont revenus de l’hôpital et ont fait un sitting de protestation : ils ont été tabassés, il y a eu des blessés, hop, retour à l’hôpital… C’est dur en ville, mais il y a une multitude de luttes dans tous les coins, surtout dans les villages et petites villes.

Quels sont les enjeux dans les campagnes ?

Je donnerai comme exemple Ouarzazate, une ville tournée vers le tourisme, mais la crise mondiale a eu des répercussions : il n’y a pas assez de touristes, les hôtels ferment, les chantiers stoppent, tout le monde est au chômage. En parallèle, l’état en fait moins et les luttes s’accumulent. Dans la région est né le mouvement des victimes du microcrédit, intéressant : avec la crise une multitude d’associations de microcrédits a été soutenue par la Banque mondiale soi-disant pour résoudre la pauvreté, notamment des femmes. Mais elles ont réalisé qu’elles étaient volées, les taux montaient plus que ceux de n’importe quelle banque ! En fait il s’agit d’une énorme mafia qui se fait des sous sur le dos de la pauvreté. Elles ont commencé à protester, et le mouvement a fait tache d’huile. ça c’est un phénomène nouveau. Les femmes sont constamment dans les rues, appellent les gens à ne plus rembourser leur dette, à étendre le mouvement : c’est un réel appel à la dissidence. Le procès des meneurs a lieu le 4 avril, il a déjà été reporté 14 fois : à chaque fois, une manif descend dans la rue pour protester devant le tribunal et l’audience est à chaque fois reportée car les organismes qui ont porté plainte ne se présentent pas parce qu’ils n’ont aucun argument. On entend le slogan : « Dégage microcrédit ». C’est très particulier. Leur cas est un condensé de toutes les injustices : femmes, pauvres, analphabètes, une justice aux ordres…

Récemment le Maroc a été pointé du doigt par l’Onu sur les droits de l’homme ?

On a eu la visite de Christopher Ross, secrétaire général de l’Onu : il a tapé du poing sur la table à propos du Sahara occidental. Toute protestation là-bas est devenue impossible, on vient d’avoir les résultats du procès de 25 Sahraouis qui cumule toutes les irrégularités : des civils jugés par un tribunal militaire, des aveux obtenus sous la torture, une détention provisoire très longue. Les peines sont très lourdes. Et demain, on attend la visite de votre président.

Il paraît que les Casablancais ont voulu lui faire un « accueil populaire » ?

Pfff… ils ont planté des arbres partout et peinturluré mais il a plu et tout a coulé, ils sont en train de repeindre… Ils veulent faire du joli vite fait mais c’est la cata ici, on vit très mal. La ville est aux mains des spéculateurs, il y a des chantiers partout, les gens sont expropriés, les familles jetées à la rue sans solution de remplacement. Les travaux du tramway ont démantibulé la ville, ça a bouché les artères et aggravé la pollution. Sur la côte ils ont créé le Morocco Mall1 et petit à petit la corniche où on allait se promener – la seule partie accessible aux pauvres – est bétonnée.

Un blog marocain explique qu’il n’attend rien de la visite de Hollande au Maroc2 : « La France reste une fidèle adepte de la Realpolitik , et qu’elle soit de droite ou de gauche, elle affectionne de parler plutôt affaires que droits de l’homme ! »3

On pense qu’ils vont parler affaires. Peut-être qu’il vient aussi demander la relève de la France, embourbée dans la région – au Mali etc. Je ne sais pas ce qu’il va apporter. Le TGV Casa-Tanger en deux heures, qui va coûter un bras, personne n’en veut ici. Nous, on continue. On sait que quoi qu’on fasse, qu’on se taise ou pas on sera matraqués. Si ce n’est pas par la crise économique ça sera par les bâtons des flics. Et en plus, il fait pas beau…

Propos recueillis au téléphone, le 3 avril.


1 Plus grand centre commercial d’Afrique inauguré fin 2011 (250 000 m2, 350 boutiques, 2 milliards de dirhams investis – 180 000 millions d’euros).

2 Dans un communiqué du 2 avril, l’ONG américaine Human Rights Watch exhorte le chef de l’état français à « exercer davantage de pression pour que le Maroc approfondisse ses réformes en matière de droits humains, lors de sa première visite officielle à cet allié de longue date de la France ».

3 Blog Lakome, lundi 1er avril. »

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1 commentaire
  • 18 mai 2013, 20:18

    Juste pour pinailler sur la forme. Au Maroc on ne mange pas la chorba mais plutôt la harira. Chorba est algérien. Votre titre fait immédiatement partir sur une fausse piste, l’Algérie. Juste pour pinailler sur la forme. Bravo pour le fond.