La cantine des Pyrénées
A l’intérieur, un comptoir d’un côté, des tables de l’autre. Au fond, la cuisine. Chaque jour de la semaine à midi, on y sert un plat à 2 euros ou un menu à 4 : entrée plat dessert vin rouge café. Le visiteur prend son assiette et s’assied à l’une des grandes tables flanquées de bancs de bois. Au mur, un texte annonce la philosophie du lieu : « Ici ce n’est pas un restaurant : personne n’est payé pour faire à manger, les courses ou le ménage, et il n’y a pas vraiment de bénéfices : l’argent récolté sert à payer les frais, […] l’idée n’est pas de proposer un service, mais de faire tourner un lieu collectif d’entraide, qui serve à plein de gens, à plein de choses. […] Ici, pas de patron, pas de responsable. » L’équipe qui s’active au bar et en cuisine est composée de garçons et de filles de tous âges, l’accueil est simple et sympathique. Aujourd’hui au menu : rouleaux de printemps, riz et légumes, lychees. Une dame explique qu’elle en a trop, qu’elle emporte le reste pour son dîner. « C’est bien cet endroit, je vais leur donner des assiettes. »
L’un des « anciens » explique la genèse du projet : « L’idée tournait depuis environ un an et demi, dans différentes bandes : activistes, squatteurs, ou plus axés sur des questionnements théoriques, des très jeunes et d’autres avec de l’expérience. Nos présupposés : une action locale avec l’idée que ce qui s’y passe soit accessible à tout le monde, sans barrières dues aux horaires, à l’argent, ni intellectuelles ou identitaires. On a voulu s’imprégner du quartier et de ce qui existait déjà, plus qu’arriver et appliquer nos schémas – ce qu’on a tendance à faire en tant que militants. » L’une de ses camarades évoque la notion de solidarité de classe : « Ce lieu est une façon de se battre contre l’isolement. Comme on le dit dans notre déclaration collective, nous ne voulons ni compenser les faiblesses de l’État, ni créer une alternative à l’intérieur du système. Ici, il n’est pas question de charité mais bien d’entraide et de solidarité. »
Un texte d’appel a été lancé pour que le projet puisse être discuté collectivement. Au départ, l’équipe voulait louer pour éviter le problème principal des squats : l’expulsion. « On a cherché, mais les prix du marché privé imposent un fonctionnement capitaliste, on ne peut pas se permettre de faire des repas à plus de 4 euros… » Alors, quand des camarades leur annoncent qu’ils ont les clés de ce bar fermé, ils tentent le coup, quitte à négocier avec les propriétaires, une société de gestion immobilière – qui leur envoie illico des gros bras pour les déloger. Ils tiennent la place, la police intervient et applique la loi : on ne peut les mettre dehors sans procédure. « On est allés voir les gars en leur disant que plutôt que de se lancer dans une procédure longue et coûteuse on était prêts à négocier un bail. Ils n’ont pas donné suite et ont préféré engager une procédure. Depuis janvier, il y a eu trois audiences, on gagne du temps grâce aux méandres judiciaires. »
Chaque semaine, une réunion organise les équipes. Les aliments viennent du marché, d’un magasin discount ou de la récup’ aux stands bio de Rungis. Outre la cantine, les ateliers s’organisent : échecs, bricolage, cours de français, ciné-club… Le cours de français est submergé de demandes et de propositions : « Il y a des niveaux très différents, il a fallu discuter d’une “ligne pédagogique”, ça pose des questions sur l’apprentissage, les copains qui s’occupent de ça sont super contents et victimes de leur succès : il a fallu ajouter des cours. On a même appris que certaines institutions sociales nous envoient des gens… »
Cet article a été publié dans
CQFD n°111 (Mai 2013)
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Paru dans CQFD n°111 (Mai 2013)
Dans la rubrique Ma cabane pas au Canada
Par
Illustré par Rémy Cattelain
Mis en ligne le 10.07.2013
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