Cheminots en lutte

Réforme de la SNCF : Ce sentiment de la grève bien faite

Alors, grève perlée ou reconductible ? CQFD a cherché à savoir ce qu’en pensaient les gars du rail. Le résultat ? Terrible. Où l’on découvre que la guerre de plus ou moins basse intensité menée par les gouvernements successifs – et les médias – a fini par dégoûter les cheminots de leur boulot.

Pas de panique, un accord a été trouvé. Point – du tout – avec le gouvernement, lequel souhaite toujours ardemment réformer la SNCF à grands coups d’ordonnances. Et, entre autres, faire disparaître le statut de cheminot pour les nouveaux entrants. Non. Si accord il y a, c’est entre, d’une part la CGT, l’Unsa et la CFDT, et d’autre part Sud-Rail. Les trois premiers syndicats de l’entreprise publique se sont entendus pour appeler les cheminots à faire grève deux jours sur cinq du 3 avril à la fin juin, pendant trois mois. Pas convaincu par cette stratégie très particulière, Sud-Rail a préféré déposer un préavis de grève reconductible à partir du 3 avril. Les quatre structures sont donc partantes pour mener les deux tactiques de front, quitte à en abandonner une en fonction des réactions de la base.

Justement, la base… À CQFD, nous avons cherché à savoir ce qu’en pensaient les militants syndicaux de terrain. « Ça me rappelle la grève “ saute-mouton ” de 2003, avance Charles, retraité toujours actif au sein de Sud, qui manifeste ce 22 mars à Marseille pour défendre la SNCF et la fonction publique. On avait l’impression que ça n’allait jamais démarrer. Cette fois aussi, les médias risquent de se déchaîner au bout de quelques jours. Et nous ne gagnerons pas la bataille contre le gouvernement si nous ne remportons pas celle de l’opinion publique. Une grève, ça dépend du timing. Et un timing long n’est pas le plus opportun. » Fred Michel, de Sud-Rail, abonde en son sens : « Le problème avec une grève de deux jours sur cinq, c’est que ça nous dépossède. Il n’y a pas d’assemblée générale, par exemple. Pour gagner, il faut que les syndicats soient dépassés par les cheminots, avec un rapport de force qui se reconduit de jour en jour. »

Difficile, en ce 22 mars, de recueillir le son de cloche des militants CGT, puisque ces derniers ne participent pas au cortège marseillais – ils ont décidé de défiler à Paris. C’est donc quelques jours plus tard que l’on rencontre trois syndicalistes du centre de maintenance SNCF de la Blancarde (12e arrondissement). « C’est un peu nouveau pour nous, ce type de grève. Mais au moins, il y a une stratégie, et elle peut nous permettre de tenir plus longtemps, avance Lionel. D’expérience, on sait que les problèmes se multiplient au bout de quatre ou cinq jours de grève. Nous, ce qu’on veut, c’est désorganiser la production sans faire trop chier les usagers. »

Mais, très vite, la discussion abandonne les considérations stratégiques pour glisser vers le ressenti. Les ressentiments, même. « On sent bien que la colère augmente au fur et à mesure que le moral baisse, précise Lionel. Ce qu’on ne supporte plus, c’est d’entendre dire que nous sommes des privilégiés. Ça met la rage. Moi, je suis technicien, j’ai vingt ans de boîte, je ne bosse pas la nuit ni le week-end, et je gagne 1 675 € net par mois, primes comprises. » L’augmentation de la charge de travail et la baisse des effectifs dans leur service, récurrentes depuis des années, ne sont pas là pour les rendre optimistes. « Ici, nous étions 1 200 en 2008. Nous ne sommes plus que 740. Par contre, le nombre de trains à entretenir a triplé », soutient Renaud, délégué du personnel CGT. Et d’un coup, la loco chargée à la colère s’emballe : « En fait, les cheminots ne sont pas heureux. Chez les roulants, il y a 70 % de divorces, souvent à cause des horaires décalés. Et à la maintenance, on ne ramène pas de beurre… Quand j’ai débuté à la SNCF il y a seize ans, j’étais fier de dire que je réparais des trains, j’avais l’impression d’annoncer que je jouais à l’OM ! Ça intéressait les gens – les trains fascinent toujours un peu. Et ça donnait envie aux minots de devenir chef de gare ou “ conducteur de train ”. Tandis que maintenant, j’ai le sentiment d’être atteint du syndrome de la caissière de supermarché – avec tout mon respect, personne n’a envie de faire son travail… » Le gars est lancé, plus rien ne l’arrête : « Avant, je ne gagnais pas beaucoup, mais je retirais une certaine satisfaction de ce qu’on accomplissait avec les copains. Quand un train sortait de chez nous, il pouvait rouler. Mais c’est fini, nous n’avons plus les moyens de faire correctement le boulot. Ils ont réussi à nous voler le sentiment du travail bien fait. » Rien que pour ce manque de considération, il serait bienvenu que ce gouvernement et ses ordonnances passent sous les roues du train de la grève. Qu’elle soit perlée ou reconductible.

Par Nicolas de la Casinière.
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1 commentaire
  • 16 avril 2018, 20:35, par Renaud Le Chaton

    Bonjour, je suis le Renaud cité dans l’article. Je remercie le journaliste pour celui-ci qui retranscrit bien notre entrevue. Bonne continuation.

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