Culture en cabane

Rape tout

Ancien détenu, Mouloud se démène à l’extérieur pour que sa zique de prédilection, le rap, ait droit de cité à l’intérieur. À Toulon, lunettes noires, baskets électriques et thé citron, il invite CQFD dans un rade, face à la mer… Méchante rencontre.

DEPUIS QUAND organises-tu des concerts de rap en prison ?

Dans les années 90, j’en organisais déjà dehors, à Toulon. En 1999, j’ai été incarcéré et, partout où je suis passé, j’ai demandé à rencontrer le directeur pour proposer des concerts et obtenir du matériel. Ils m’ont tous pris pour un fou ! Après six ans de maisons d’arrêt, j’ai été transféré au centre de détention de Val-de-Reuil [Eure]. C’était le plus grand d’Europe, et il y avait des infrastructures pour faire venir des groupes… Alors, j’ai expliqué au directeur que j’étais un ancien DJ et que j’aimerais avoir du matériel pour organiser des concerts. Il m’a répondu : « OK, restez en observation un mois, et on verra ». Six mois plus tard, ils ont organisé une journée équestre ! Je suis donc retourné le voir : « Bon, si vous pouvez faire rentrer des chevaux, je pense qu’une paire de platines et quelques micros, ça devrait pas être bien compliqué ». Il m’a conseillé de monter un projet. J’ai appelé les mecs avec qui je bossais dehors – mes potes de Radio Active, une radio associative toulonnaise – et j’ai fait mon premier concert avec Daddy Lord C de la Cliqua. Content du résultat, le directeur a investi 12 000 euros dans du matos son. Par la suite, j’ai

par Rémi

organisé six concerts en tant que détenu, avec Médine, Bouchées Doubles, Sefyu, LIM, El Matador & Brasco, Proof – des producteurs de rap… et j’ai monté des ateliers d’écriture et de musique assistée par ordinateur (MAO).

Et tu as continué une fois libéré…

Je suis sorti en conditionnelle en juin 2008, et je n’ai pas eu envie d’arrêter. Une fois dehors, c’était plus facile, je pouvais aller voir les rappeurs directement. J’ai contacté les Services pénitentiaires d’insertion et de probation (Spip) de toute la région en expliquant : « Je vous ramène des artistes, j’organise un concert clef en main, je m’occupe des autorisations, et c’est gratos ». J’ai monté une première tournée pour les fêtes de Noël en 2008, avec Médine, Tunisiano, Sat L’Artificier et Kery James. Dans chaque taule, le concert dure une heure, et le rappeur reste une heure de plus avec les détenus. Quand Sefyu est venu à la prison de Val-de-Reuil, il m’a dit : « Mouloud, quand tu sors, essaye de continuer ton projet, je ferai un concert gratuit pour que tu récupères des fonds ». Je l’ai rappelé direct, il m’a dit oui, et j’ai créé les concerts Hip Hop Convict Support avec, entre autres, lors de la première, au petit Zenith de Toulon, Alibi Montana, Freeman d’IAM, Al Peco, La Fouine… Ils ont tous joué gratos et on a pu monter la deuxième tournée des taules pour la fête de la Musique. Entre 2008 et 2009, grâce aux concerts payants à l’extérieur, on a pu en financer 25 en prison !

Tous les artistes de rap français ont un morceau sur la prison. C’est aussi pour ça que je suis allé les voir : quand tu parles des mecs en taule, tu ne peux pas leur refuser un concert, sinon t’es plus crédible. Seuls les ex-détenus ne peuvent plus venir jouer dedans,mais heureusement, il n’y a pas beaucoup de voyous dans le rap ! Pour moi, par contre, c’est fini…

Comment les concerts sont-ils perçus par les détenus ?

Ils ne sont pas tous des fans de rap,mais un concert de deux heures, c’est deux heures de liberté. Ensuite, tu peux en parler pendant trois mois en promenade. À l’intérieur, j’ai vu quelle culture ils proposent aux détenus… C’est rien, c’est des cailloux. Ceux qui en sont chargés font rentrer leurs potes qui jouent de la musique –des groupes locaux tout nazes, des chants religieux – ou qui font du sport… Ce n’est pas parce qu’on est en prison qu’il faut nous refiler de la merde ! Les nouvelles taules de Sarkozy, comme celle de Toulon – La Farlède, sont à l’image de sa politique. Ils les ont construites sans aucune salle de spectacle : c’est très grand, plein de béton, plein de place, vidéo-surveillé… Mais pas fait pour la culture. Traduction : ils n’en ont rien à foutre de la réinsertion des mecs. Moi, par exemple, pour mon « projet professionnel  », j’ai expliqué que j’avais été dealer. « Ah, compétences transférables » : j’ai donc fait une formation de vente ! Plus sérieusement : plus la prison sera dure, plus il y aura de suicides ; plus les peines seront longues, plus il y aura de suicides ; moins il y aura d’humanité, plus y aura de récidive. Pour repenser la prison, appeleznous, nous, les anciens détenus, on vous dira ce qu’on en pense !

Y a-t-il des taules où tu ne peux rien organiser ?

Écoute, je fais des concerts dans toutes les prisons de la région, et la seule où je n’y arrive pas, c’est les Baumettes à Marseille. Là-bas, l’association qui s’occupe de la culture, et qui a assez d’argent pour faire un peu ce qu’elle veut, refuse tous les rendez-vous. Ils doivent penser, comme cet enfoiré d’Éric Zemmour, que le rap est une sous-culture. Ils ne veulent pas proposer autre chose, même si le public est demandeur. Mais, hé, on va finir par y rentrer ! Aux détenus des Baumettes : allez voir les Spip, mettez leur la pression de l’intérieur pour demander des concerts de rap, et on viendra avec du lourd !

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